Les différents types de crues
Il existe trois sortes de crues, généralement amenées par des pluies diluviennes :
- Les crues rapides ou torrentielles :
Elles portent bien leur nom, ces crues proviennent principalement des torrents gonflés par les bassins versants des montagnes. Les reliefs escarpés des gorges et des montagnes concentrent les pluies et amplifient la poussée de l’eau jusqu’à déplacer des arbres et des roches de plus d’une tonne. Ce sont potentiellement les crues les plus dangereuses et puissantes car elles profitent de l’inclinaison du relief pour gagner en vitalité. Les rivières de montagne et leurs affluents sont les plus touchés.
- Les crues éclair :
Elles sont la continuité de pluies soutenues, très fortes et localisées. L’eau monte à grande vitesse et a tendance à redescendre assez rapidement quelques heures ou jours après la perturbation climatique. Toutes les rivières sont touchées par ce phénomène vu que toutes les localisations peuvent subir une intempérie subite et puissante.
- Les crues lentes ou de plaine
Tout comme les autres montées des eaux, les crues lentes font grimper le niveau mais à vitesse plus réduite. Elles ont tendance à proliférer dans les plaines et créer des inondations assez conséquentes avec parfois des décrues longues. Tout comme les crues éclair, l’ensemble du territoire est concerné par les crues de plaine.
D’autres crues pourraient être citées mais elles dépendent de leur localisation, comme les crues océaniques, les crues cévenoles, les crues méditerranéennes complexes… Nous pourrions aussi parler des crues saisonnières, comme les crues de printemps, souvent liées au cumul de fortes pluies couplées à la fonte des neiges. Les barrages hydrauliques peuvent aussi être source de crues artificielles lors de lâchers d’eau. Les ouvrages hydrauliques influent aussi sur les hauteurs des cours d’eau pour anticiper de grosses crues (exemple des réservoirs en amont de Paris) ou bien pour gérer les débits moyens nécessaires au refroidissement des centrales nucléaires ou encore pour venir en soutien des débits d’étiage.
Les impacts d’une crue sur la rivière
Toute montée d’eau aura pour effet de modifier cette dernière, sa teinte va se dégrader pour s’assombrir et sa composition va elle aussi être impactée. Une crue apporte indéniablement une eau boueuse et teintée.
Plus elle sera chargée, plus elle sera trouble, turbide. Cette turbidité est composée par un nombre incalculable de matières en suspension sur toute la colonne d’eau ; elles se composent de différentes terres, matières organiques ou végétales, faune microscopique, éléments polluants… que la rivière va cueillir et transporter jusqu’à la décrue. Cette eau « chocolat » coupe partiellement l’effet de photosynthèse, les plantes aquatiques sont en manque de lumière et produisent beaucoup moins d’oxygène. Les désagréments sur la faune et la flore sont indéniables mais n’ont pas que des conséquences négatives. Si une bonne crue peut laisser son lot de déchets divers dans les branches, elle nettoie et entretient le lit et les bordures de la rivière. L’impact sur l’aspect visuel est souvent lié à la puissance de la crue. Les abords des eaux vives sont souvent modifiés, des trous peuvent se créer ou se reboucher. Les postes sont mouvants et modelés par le marnage. Il faudra patienter jusqu’à la décrue pour analyser l’effet sur les postes habituels. Le pêcheur devra s’adapter au fil des années et tenter de cerner le comportement des poissons face à ces changements d’environnement.
Leurs effets sur les poissons
Pour comprendre le danger de ce phénomène aquatique il faut s’imaginer dans une tempête de sable avec un vent puissant et une visibilité réduite à l’extrême. Que ferions-nous ? Nous nous mettrions bien sûr à l’abri pour nous protéger du danger. C’est exactement ce que font les poissons, ils se planquent dans des zones de confort en attendant que l’orage passe, nous y reviendrons plus tard. Toute la vie aquatique est ainsi chamboulée et celle des carpes ne fait pas exception. L’oxygène dissout vient à manquer et les débris charriés sont dangereux pour leur survie, quel que soit leur taille. Un arbre dérivant porté par le courant peut devenir meurtrier tout comme les innombrables particules qui risquent d’obstruer leurs branchies. Les objets charriés par la force de l’eau peuvent heurter les poissons, ouvrir leur cuir ou tailler leurs nageoires. Les crues de printemps ou de début d’été sont à mon sens les plus meurtrières car elles emportent les œufs fécondés ou les jeunes larves dans leur périple.
Elles peuvent réduire à néant le fruit d’une bonne éclosion. Paradoxalement, une eau turbide et chargée peut se réchauffer plus vite qu’une eau translucide, car toutes les particules charriées se réchauffent plus vite que l’eau via les rayons du soleil. Ces différents éléments agissent comme des petites résistances et réchauffent l’eau à plus grande vitesse que la normale, entrainant par conséquent une baisse supplémentaire du taux d’oxygène dissous dans l’eau. Hormis la vitesse de réchauffement par les particules, plus la rivière a un débit élevé, plus ces différents phénomènes sont accentués. Les crues sur les rivières lentes sont plus faciles à gérer pour la faune et la flore aquatique, bien que des carpes soient parfois retrouvées sur des routes ou dans des fossés. Pour synthétiser, lors d’une phase de montée des débits, les poissons sont en phase de stress et doivent faire avec des taux d’oxygène réduits. Ils sont par conséquent à la recherche d’une zone salvatrice.
Le « money time » dans les premières heures de crue
Les pêcheurs de barrage savent aussi bien que les pêcheurs de rivière qu’une montée des eaux est souvent bénéfique pour la pêche. Lors des premières heures les résultats peuvent être époustouflants. C’est une période à ne pas louper, d’une amplitude de quelques heures seulement. Cette ébullition ne concerne pas seulement les carpes, elle a tendance à concerner tous les poissons. Sur la Loire, nos homologues « siluristes » deviennent aussi dingues que les poissons qu’ils traquent tellement les silures en chasse sont mordeurs. Je connais personnellement des postes ou pendant ce « money time », chaque lancer de leurre se concrétise par une touche de silure, sans exagération !
Il en est de même pour les carpes, trouver les zones d’alimentation pendant cette phase permet de ne pas fermer l’œil de la nuit. Je n’ai pas de preuve scientifique sur le déclenchement de cette frénésie, mais seulement une conviction de pêcheur. Je pense que les poissons perçoivent l’arrivée de cet ouragan aquatique et qu’ils font le plein de nourriture pendant plusieurs heures avant de rejoindre, pour quelques jours, leur zone de quiétude. En revanche, croire qu’il suffit de pêcher n’importe où en début de crue pour plier du blank, serait trop simple. Des postes clefs existent et l’activité des poissons est généralement visible tant ils sont présents en nombre sur des zones restreintes.
A force de persévérer, les amoureux de la rivière pourront y trouver leur compte et sélectionner les postes suivant les hauteurs, les débits et l’évolution de la crue. Le risque dans l’histoire, c’est de se planter de secteur de pêche ! J’ai pris des gaufres monumentales sur des descentes de plusieurs jours en Loire alors qu’une crue m’avait pris de court. Comme souvent c’est l’observation et donc la localisation des poissons sur des zones particulières, qui permettra de réussir le « money time »
Les postes à privilégier pendant la crue
Une fois le money time passé, ça se corse ! Car les carpes, malgré quelques sorties occasionnelles, sont maintenant aux abris, dans leur site de repli. Chaque rivière ayant sa particularité, il est difficile de citer des postes précis bien qu’il existe des similitudes d’une eau à l’autre. En fait, je pratique les phases de crue en exploitant la rivière comme lors des pêches d’hiver. Il me semble nécessaire de favoriser les postes en dehors du courant, les fameuses zones de repos. Les poissons y sont généralement cantonnés en grand nombre. La difficulté restera de localiser cette aire de repos car les carpes sont peu actives. On peut dans ce cas faire appel à notre sens de l’eau, ou plutôt à la lecture de l’eau. Les postes deviennent parfois presque évidents : les bras morts, darses, arrière d’obstacles, légers contre-courants etc. sont souvent des abris de crue, des panic rooms à carpe ! Certains carpistes poussent le vice jusqu’à pêcher les champs ou même les routes inondées avec parfois un grand succès. Il existe des cas particuliers où l’on trouve les poissons dans des replis assez surprenants et voici une anecdote qui en attestera.
J’ai souvenir d’une descente en Loire de 10 nuits, en avril 2019, où j’ai dû pêcher en pleine crue. Mes congés étant posés, il fallait bien que j’honore cette session malgré la montée des eaux. Après trois nuits stériles, sur trois postes différents pourtant en dehors du courant, je remonte dans mon zod.
Je suis un peu blasé car cette crue de printemps modérée est à son pic et qu’il faudra bien plusieurs jours désormais pour retrouver un niveau convenable. L’eau est turbide, hormis sur les bordures où je peux voir dans 30/40 cm de flotte. Le courant y est soutenu mais je prends quand même le temps de les explorer. Sur ces berges en pente douce, les jussies rampantes sont dominantes et la profondeur varie entre 30cm et 1m. A ma grande surprise, j’y ai très vite trouvé des carpes dans moins de 50cm d’eau. Elles étaient là, entièrement plantées dans les jussies, à l’abri du courant et des débris. Seuls des morceaux de caudales apparaissaient à fleur d’eau. La pêche est alors devenue bien plus facile. Je n’ai pas réalisé de carton, mais récolté entre 2 et 5 poissons par 24 heures, jusqu’à la fin de la session, en pêchant différentes bordures de jussies.
Quoi qu’il en soit, pendant la crue, les poissons se trouvent un refuge et ne sont pas très enclin à s’alimenter. Mais en les trouvant il est possible de réussir une pêche respectable.
Conclusion
Un contexte différent amène un comportement différent, c’est ce qui se passe quand la rivière devient colérique. Libre à vous de vous pochtronner dans le sofa ! Mais il serait vraiment dommage de louper le coche d’un money time ou d’une zone de refuge. Il faudra être vigilant avec les carpes car les situations de fort courant et d’oxygène réduit l’exigent. Le pêcheur aussi devra être vigilant et suivre toutes les heures son application de crues fétiche pour ne pas se laisser déborder au sens propre comme au sens figuré. Sur certaines eaux, il est inconcevable de pêcher pendant certaines crues. Soyons sages, dans certaines situations, le jeu n’en vaut pas la chandelle.
Un grand merci à Yves Limbourg, Franck Reduron ainsi qu’aux « Loiristes » pour les quelques photos partagées avec leur aimable autorisation.
Conseil de la rédaction
Pêcher le début des crues est souvent signe de réussite voire de gros cartons. Cependant il faut rester très vigilant sur le choix des postes, la montée des eaux peut être parfois très dangereuse et très rapide. Pour éviter de se faire surprendre et anticiper à une catastrophe certaine, nous vous conseillons de télécharger l’un de ces deux applications. Vous pourrez ainsi anticiper la montée des eaux, mais également suivre la décrue grâce au suivi de courbes de niveau. Ces applications indispensables pour les pêcheurs de rivières et de fleuves est disponible pour toute la France et au-delà. Les deux applications ont les relevés des mêmes bornes, donc pas besoin d’installer les deux. Une petite astuce, si vous être sur une rivière ou encore un fleuve, prenez une station qui se situe en amont de votre poste, à 30 mn ou plus et suivez la montée des eaux. En cas de crue, vous serez ainsi alerté avant que les niveaux montent sur votre poste. Voici ces deux applications à la loupe :
- RiverApp agrège les données publiques des différents services hydrologiques de 15 pays et rend la consultation des niveaux d'eau, débits et températures de l'eau des facile et intuitive. Cette application propose des fonctions utiles pour toutes les activités liées à la rivière et peut se révéler très pratique en cas de crue. Elle propose une alerte personnalisée de niveau par notification Push pour être informé immédiatement lorsque son spot ou rivières favoris ont un niveau d'eau optimal. Vous trouvez plus d’information sur le site https://www.riverapp.net/fr
- - Vigicrue, une application proposée par le gouvernement. Des informations sur les risques de crues sont publiées au moins deux fois par jour (10h et 16h) et autant que nécessaire en cas de situation à risque :
• bulletins d’information hydro-météorologique
• situation hydrologique par tronçon (niveau de vigilance) au niveau local et national
Les hauteurs et débits d’eau sont disponibles en continu sur les différentes stations hydrologiques. Le site offre également la possibilité de s’abonner à un fil d’information (flux RSS) sur un tronçon d’eau.
Recevoir des informations par sms
Sur l’ensemble du territoire de compétence du Service de Prévision des Crues Gironde Adour Dordogne de la DREAL Aquitaine, il est possible de recevoir une information SMS en cas de dépassement d’une hauteur d’eau sur une station hydrométrique sélectionnée. Cette prestation ne se substitue pas à la procédure réglementaire d’alerte définie par chaque préfecture de département, mais permet une information personnalisée. Ce service s’adresse à tous : riverains d’une rivière, professionnels du tourisme, entreprises, collectivités... Pour s’abonner gratuitement à l’information SMS : www.aquitaine.developpement-durable.gouv.fr/crues