Demandez à un pêcheur aux leurres comment il vient de prendre sa dernière truite et, la plupart du temps, il vous indique le leurre utilisé. C’est classique… avec la jeune génération. L’information est certes intéressante car on peut en déduire sa catégorie (dur ou souple, à palette ou sans, par exemple) déjà plus importante en soi que le modèle lui-même.
Pas primordial
Mais pour moi, c’est loin d’être le renseignement le plus essentiel. Formulons une hypothèse. Si dix pêcheurs non débutants prospectent un poste assez marqué occupé par une fario agressive, sept d’entre eux la prendront probablement, les autres non, pour des raisons de chance, de stratégie ou de dextérité à l’instant T. Et ces sept pêcheurs y parviendront avec un leurre différent, parfois même très différent. Tout cela pour dire que le choix du leurre n’est pas primordial. Or, c’est trop souvent sur lui que se concentre la réflexion.
Bien des questions
Plus intéressante à mes yeux est la manière dont le poisson a été pris, techniquement (animation, trajectoire, etc.) mais ce n’est pas mon propos ici. Car il faut surtout savoir où il se trouvait, pourquoi il se trouvait là et à ce moment-là, face à une truite agressive envers son leurre. Sur ces aspects, grand silence des récits de pêche postés abondamment sur Internet… preuve que l’essentiel est bien là ! Je souscris totalement à l’excellent article de Michel Tarragnat expliquant que la réussite c’est 5% de matériel, 15% de technique et 80% de connaissance des milieux et des poissons. Pour la pêche en eaux vives, où on est contraint par nature de s’équiper sobrement, j’abaisserais même encore la part du matériel.
De l'agressivité
C’est donc sur la stratégie et la compréhension de l’environnement qu’il faut concentrer ses efforts pour réussir pleinement sa saison. Certaines de ces connaissances sont communes à toutes les techniques et concernent le milieu naturel : température de l’eau, hydrologie, altitude, luminosité, éclosions, etc. Les pêcheurs à la mouche et au toc les appréhendent souvent assez bien, certains leurristes, trop concentrés sur leur équipement, parfois moins. Je conseille fortement de bien intégrer le contenu des articles de notre ami Marc Delacoste qui les aborde avec talent régulièrement dans nos colonnes. C’est d’autant plus nécessaire que le leurre est globalement la technique la moins efficace, je l’ai souvent rappelé. Même si les pêches aux micro-souples, qui font appel aux besoins alimentaires, sont venues un peu bousculer nos pratiques, le lancer reste encore majoritairement associé aux leurres durs qui misent davantage sur l’agressivité des farios. Or, et c’est bien le problème, agressives elles ne le sont pas toujours nos belles sauvages, et peut-être de moins en moins avec la mode des leurres justement.
Les degrés d’agressivité des poissons
- Les farios nées dans la rivière, qu’elles soient de souche ou pas, sont celles qui apprennent le plus vite et donc, en moyenne, les plus difficiles à leurrer.
- Les farios déversées encore au stade juvénile n’ont pas tout à fait le même comportement. Elles sont souvent un peu plus «disponibles » aux leurres.
- Arcs-en-ciel et ombles de fontaine sont plus faciles à capturer, avec une petite nuance pour les ombles pas toujours réceptifs aux poissons-nageurs et aux leurres métalliques, mais très faciles à berner avec des micro-souples.
- Arc-en-ciel et farios déversées quand elles sont au stade adulte montrent une très belle agressivité envers les leurres durs… au début. Agressivité qui s’amenuise toutefois rapidement avec le temps si elles sont remises à l’eau.
Plus que tous ses confrères, le pêcheur aux leurres doit donc rechercher voire provoquer ce comportement. Si l’on s’intéresse à l’environnement au sens large, en incluant aussi les pêcheurs dans l’écosystème, deux autres paramètres importants influent fortement sur l’agressivité des poissons : le mode de gestion et la fréquentation des parcours.
Les modes de gestion
Gérer les linéaires, c’est le travail des AAPPMA, des sociétés privées ou parfois directement des fédérations de pêche. La conséquence de ces gestions variées, qui vont de l’halieutisme pur (avec déversement de surdensitaires adultes) à la stricte gestion patrimoniale, en passant par toutes une série de pratiques intermédiaires, c’est la grande disparité des salmonidés présents et de leur capturabilité en général, et aux leurres pour ce qui nous intéresse ici. C’est d’autant plus vrai dans les secteurs de haute montagne (Alpes, Pyrénées) où les températures et les eaux torrentielles sont autant de facteurs limitants pour la reproduction des truites justifiant davantage de soutien des populations. Si je fais le tour de mes amis, tous ne savent pas ce qu’ils prennent exactement quand ils capturent un salmonidé.
Mines d'informations
Pour le savoir, il faut en effet se rapprocher des fédérations disposant de ces données ou se plonger dans les fameux PDGP (plans départementaux de protection et de gestion de milieux aquatiques) disponibles sur leurs sites et véritables mines d’informations. Le pêcheur aux leurres exclusif a donc tout intérêt à sélectionner les parcours qui ne sont pas en gestion patrimoniale stricte. Et d’autant plus s’il aime pêcher en groupe et se moque du pédigrée des poissons. En Savoie et en Isère, ces secteurs sont assez nombreux : ruisseaux, torrents au-dessus de 2000 m, cours d’eau à très forte pente originellement apiscicole, portion de rivière en no-kill régulièrement alimentée en surdensitaires, parcours gérés par des sociétés privées.
La fréquentation
Si ce type de parcours n’existe pas chez vous ou si, comme moi, vous préférez nettement les truites nées dans la rivière, alors il faut vous pencher sur le second paramètre : la fréquentation. Plus la pression de pêche est forte, plus les truites sauvages, davantage remises à l’eau qu’auparavant, s’éduquent inéluctablement, surtout aux leurres durs, pratique la plus intrusive. La bonne stratégie consiste alors à aller chercher les farios sauvages là où elles sont les moins sollicitées, hors des sentiers battus.
Les petits torrents
Les petits torrents sont des milieux très favorables. Peu fréquentés, les truites y voient passer peu de monde et s’éduquent faiblement. En dehors des périodes où les eaux sont très froides, les farios y sont souvent très agressives. La fenêtre d’alimentation étant courte et la nourriture plutôt rare, elles sont peu sélectives, très opportunistes, et se jettent souvent sur tout ce qui est vivant et tombe dans l’eau. Elles vont occuper des postes très marqués et développent de redoutables réflexes de territorialité, facilement exploitables avec des leurres durs classiques… à condition d’être très discret dans ses approches.
Sans aller jusqu’à pratiquer une pêche extrême en canyon (nous verrons cela dans un prochain article !), il est clair que les secteurs sportifs sont les moins fréquentés. Le pêcheur aux leurres doit les rechercher prioritairement, d’autant que les cannes spinning, de faible encombrement, facilitent la mobilité. Il faut donc privilégier les secteurs éloignés des points d’accès. On les atteint en prospectant longuement la rivière, soit plus directement en en zappant des portions entières. On trouve alors ces secteurs plus sauvages et des farios bien plus agressives envers nos leurres qu’elles auront moins vu passer. Les gorges et les très forts dénivelés, potentiellement dangereux, limitent aussi la fréquentation.
Les spots... douteux
Certains parcours, certes moins photogéniques, sont également intéressants. Je les trouve souvent en zone urbaine où rien, de prime abord, n’incite à rechercher les farios sauvages. D’où leur intérêt ! Il peut s’agir de secteurs recalibrés parfois bétonnés. Les caches y sont rares mais non absentes. Ce sont aussi des rivières aux eaux douteuses parfois polluées ou à forte turbidité, de petites portions rendues difficilement accessibles par l’urbanisation (buses, pont ferroviaire, lotissement, recouvrement partiel par un parking, etc.) Autant de territoires peu sollicités abritant peut-être de très beaux poissons qui peuvent être mordeurs.
Passer le premier
Un pêcheur aux leurres a toujours intérêt à passer le premier, surtout dans les biotopes qui sont petits ou moyens. C’est pourquoi il vaut mieux renoncer au secteur prévu au moindre indice: voiture de pêcheurs, traces de pas récentes, collègue aperçu en longeant préalablement le secteur avec sa voiture. Et je prospecte plutôt en descendant la rivière, aux leurres, c’est en général plus efficace, pour être sûr de ne pas pêcher derrière un confrère, qui va pratiquer le plus souvent en remontant.
Les petits ruisseaux
Dans un tout autre esprit, les ruisseaux boisés, même minuscules, sont parfois excellents pour dénicher des farios à forte capturabilité. Difficilement praticables, ils sont souvent délaissés par les moucheurs notamment. Or avec une toute petite canne spinning (1,20 à 1,60 m), une boîte de leurres bien pensée et une bonne dose de zen attitude, ils peuvent réserver de vraies surprises. Exploiter ces possibilités demande une excellente connaissance de son environnement halieutique de proximité. Pensez-y, c’est peut-être là que pourrait bien se jouer votre saison !