Ce matin du 23 février, sur le lac de Serre-Ponçon, les bénévoles et les salariés de la fédération de pêche des Hautes-Alpes grimacent d’efforts pour porter les vingt immenses sacs plastiques. À l’intérieur nagent des milliers d’alevins de corégone. 200 000 au total, au stade de vésicule résorbée, arrivés de la pisciculture de Rives, à Thonon-les-Bains. Cela fait maintenant une quinzaine d’années que les lâchers ont lieu. « Au départ, c’ était une volonté de l’association Treuil et Tangon, qui a vu les pêches de corégone qui se pratiquaient en Savoie et Haute-Savoie, explique Dewis Davudian, agent de développement de la fédération du 05. C’est difficile de mesurer l’impact de ces lâchers, car le plan d’eau est immense [2 800 ha], le pourcentage de réussite est difficile à définir. Mais après les premières introductions, on a eu assez rapidement des retours de pêcheurs. » L’enjeu financier n’est pas énorme, une telle introduction coûte entre 2 500 et 3 000 euros.
Piqués au jeu
La fédération et l’association déversent les alevins en différents points du lac, en laissant le moins de chances au hasard : il faut la présence de blocs ou d’éboulis sur les premiers mètres servant de caches et des fonds importants pour l’habitat près des berges. Les soutiens sont en tout cas indispensables. « Le corégone arrive à se reproduire sur Serre-Ponçon, mais assez mal, car le lac subit un marnage en hiver lors de la période propice, rapporte Dewis. Les œufs déposés sur les berges risquent de se retrouver au sec. Il y a ensuite la prédation des brochets, que l’on observe surtout au printemps et en automne. On voit les gros sujets qui se tiennent près des bancs. » Les pêcheurs locaux se sont pris au jeu, il se dit que le plus gros sujet capturé avoisinait les 60 cm. « On partait de rien, on n’avait aucune connaissance sur cette pêche, détaille Dewis. Il a fallu essayer beaucoup de choses, de montages plus ou moins farfelus. Il faut cinq minutes pour apprendre les règles, mais il y en a qui passent leur vie à tenter de s’améliorer. Ce qui est certain, c’est que tous ceux qui essayent sont piqués par cette pêche, on dit qu’ils attrapent la "corégonite" ».
Spécialité jurassienne
Dans le Jura, le virus est aussi bien présent ! Les barques étaient une centaine le jour de l’ouverture sur le lac de Chalain, et nombreuses aussi sur les lacs d’Ilay, du Val… « Cette pêche devient extrêmement importante dans notre département », témoignait Roland Brunet, président de la fédération de pêche du Jura, lors d’une soirée « spéciale corégones » organisée au siège de la fédération le 15 mars dernier. « C’est une vraie pêche locale, avec des guides spécialisés, une vraie communauté et des groupes Facebook qui se partagent les infos, détaille Jean-Baptiste Fagot, ingénieur hydrobiologiste de la fédération jurassienne. L’espèce a été implantée sur nos plans d’eau naturels et artif iciels après la seconde guerre mondiale. »
À la loupe
Un suivi des populations depuis 2011 a permis de cibler les sites où la reproduction est effective, Chalain par exemple, et ceux où un rempoissonnement est nécessaire, comme sur le lac Les Rousses. Mais attention, point trop n’en faut ! Il a été démontré chez nos voisins suisses que plus il y a de repeuplement, plus il y a de corégones, certes, mais moins la taille moyenne est importante. Sur Vouglans, l’AAPPMA locale a lâché quelque 4 650 000 alevins depuis 2018. Cette année, une campagne de marquage des otolithes a été lancée. Elle permettra de savoir, dans les cinq ans, si ces opérations sont efficaces. Une chose est certaine : « Par le passé la situation était favorable, avec des eaux fraîches et bien oxygénées qui conviennent à ce salmonidé, mais on voit apparaître depuis quelques années des difficultés en été, alerte Jean-Baptiste Fagot. Toutefois, dans les 30, 40, 50 ans, avec le changement climatique, cela n’ évoluera pas dans le bon sens. » L’avenir le dira.
Plusieurs espèces de corégones
Les Suisses, qui ont une longueur d’avance sur le corégone, ont recensé 24 espèces dans leurs eaux, mais il y en a eu 34 autrefois ! On en trouve aussi sur le continent nord-américain : le Lake Whitefish, qui est très proche de nos corégones, et le Mountain Whitefish, qui se rapproche plus de l’ombre et vit en rivière, on le pêche à la mouche. Les espèces fraient à différentes profondeurs (du bord jusque 250 m!) et à différentes époques de l’année, principalement de Noël à fin janvier. Le poisson, grégaire, vit en bancs. Il peut mesurer jusque 80 cm. Il se nourrit de larves d’insectes, de petits mollusques et de crustacés. Dans le Jura, il y a plusieurs mailles : 30, 32 et 35 cm selon les lacs. Dans les Hautes-Alpes, la maille est à 30 cm.