N’ayant jamais vécu en ville durant une longue période de ma vie « le manque de nature » m’était jusqu’à présent inconnu. Gamin de l’Ardèche sauvage, passant le plus clair de mon temps les pieds dans le ruisseau longeant la propriété familiale, je me suis retrouvé quelques années plus tard en pleine ville, forcé à travailler un petit peu. De fil en aiguille, j’ai eu l’occasion de croiser des pêcheurs, eux aussi amoureux des rivières sauvages, mais vivant bien loin d’elles.
Un bol d'air
Chaque personne prend son bol d’air d’une manière bien différente et j’en connais même qui, pour s’évader ont plaisir à travailler leur lancer en pleine ville avec un pompon en guise de mouche. Grâce à la rencontre de techniciens ne prenant pas uniquement le lancer mouche pour un mal nécessaire, je me suis ouvert à une communauté de passionnés de la mécanique du lancer. Pêcheurs aguerris ou juste amoureux de la physique derrière nos boucles, cette niche dans la niche de la pêche à la mouche existe bel et bien ! Lors d’un récent passage par la capitale, j’ai eu la chance d’être initié aux pratiques peu communes de mes amis citadins. Une fois nos journées terminées, un grand débat amical nous fait dévorer nos pintes dans un bar branché du 10e arrondissement. La nuit avance et nos propos perdent peu à peu de leur structure. Entre remises en cause des principes fondamentaux du roll cast, anecdotes de pêche incroyables et partages sur nos philosophies de vie, les heures passent. Pris d’un désir de reconnexion avec ce qui nous rallie, mon ami Jérôme me lance, déjà fier : « Et si on allait faire des boucles ? Attends quoi ? Mais on est en plein Paname et il est 1 h du matin ? J’ai un spot, tu vas adorer », me dit-il l’œil brillant d’enthousiasme.
Une rencontre
J’ai croisé Jérôme Servonnat, présenté par mon maître à lancer Malik Mazbouri, pour la première fois au Salon de Saint-Étienne il y a quelques années. Il y a certaines personnes que l’on croise et avec qui ça colle instantanément, et ce, sans même dire un mot ; ce fut une de ces rencontres ! Je me souviens arriver au Salon le jeudi soir pour installer le stand dans le froid humide des févriers de Loire. En traversant le hangar, qui fourmillait déjà de la présence de tous les exposants, saluant brièvement tous ces gens que l’on ne croise qu’une fois par an, Jérôme me tend une canne à tester. François, c’est bien ça ? Essaye ça, c’est une bombe ! Je pose mes caisses et je prends en main une canne très légère, mais qui me semble paradoxalement très longue. Une 10’ soie de 2 incroyablement réactive. Après quelques boucles, je complimente ce blank inconnu, puis demande sa provenance. Jérôme m’informe que c’est un custom réalisé par un ami… Mystère…
Fly Casting Lab
À l’issue du Salon, serrant les mille et une pinces du départ, Jérôme me parle de son bébé, le Fly Casting Lab. Lui-même bossant en blouse blanche, il a créé un labo virtuel sur le casting. Une page Facebook qui est aujourd’hui une référence mondiale pour tout casteur souhaitant en comprendre un peu plus, enseigner, s’informer et partage l’amour des belles boucles. Il me parle des projets de son asso, événements sur le casting, démocratisation de la pratique, cours, etc. L’idée de faire partie de la réflexion puis des futurs évènements m’enchante. Depuis ce jour, ce groupe Facebook a pris une ampleur remarquable sur la toile et les événements de casting s’enchaînent avec succès ! 1 h 36, les amis se séparent et les plus fous attrapent un taxi pour le 13e, il nous faut : une canne, une soie, un moulin et un appareil photo. Jérôme m’avait déjà parlé de ce truc incontournable à faire aux portes d’un lieu emblématique de la capitale. Me donnant quelques détails, j’imaginais déjà qu’en plus d’être une expérience unique, ce serait une toile inédite pour capturer l’essence de notre sport en images.
De grands bâtiments cubiques
Matos en main, riant à l’avance, nous marchons en direction de la BNF. En bon campagnard, je n’avais jamais mis les pieds sur les lieux, ces grands bâtiments cubiques, éclairés d’orange contrastent parfaitement avec le bleu de la nuit et le parvis offre un terrain de jeu idéal. Jérôme monte sa canne, envoie ses premières boucles sous la lumière des lampadaires et la soie claire se détache sans encombre du sombre de la nuit. N’ayant pas de flash avec moi, on part à la recherche des meilleurs jeux de lumières. Après quelques tentatives échouées à essayer de recréer une action de pêche entre les sculptures contemporaines, on vise le plein centre de l’espace. Les boucles rondes et fines s’enchaînent sans un bruit. D’un angle puis d’un autre, nous cherchons les compositions les plus intéressantes. En jetant un œil aux premiers clichés, nous nous rendons compte que nous tenons une belle histoire. Merci Jérôme pour cette belle expérience où, en effet, on a pris notre pied comme si on était au bord de l’eau.
Le mot de Jérôme Servonnat
« J’ai vu la beauté chez des lanceurs. Et depuis, je désire l’atteindre, j’espère l’étreindre. Comme regarder une cascade, les méandres du courant dans l’eau, la fumée du bâton d’encens, le vol acrobatique d’un oiseau, les mouvements de la soie sont fascinants. Le casting, c’est plus que préparer sa saison de pêche. C’est plus qu’arriver à atteindre un poisson que les autres n’atteignent pas. C’est plus que réussir le posé technique qui amènera la dérive parfaite, qui trompera ce poisson si vigilant, tant désiré, aimé, au premier passage. Et pourtant, c’est déjà beaucoup. C’est une occasion merveilleuse d’ajouter de la beauté dans notre monde de la pêche, et d’en être l’interprète. C’est aussi s’adonner à la recherche de la vérité, tout en sachant qu’on ne l’atteindra jamais, mais que la progression sera au rendez-vous. Chaque espace qui nous entoure est un potentiel espace de casting, un potentiel défi, un décor magnifique. Lancer une soie est un plaisir qui se pratique partout où elle se déroulera suffisamment loin d’un autre, animal ou être humain. Ces photos revendiquent la recherche de l’esthétique à l’aide d’une canne à mouche, volontairement mise en scène dans un cadre où le pêcheur n’a pas lieu d’être. »