Les Hauts-de-France sont la terre historique de la pêche au coup, le Nord en est par ailleurs le berceau et toute la région compte de nombreux passionnés, pêcheurs de loisirs ou compétiteurs. Le canal d’Aire à Béthune, long de 32 km et parfaitement rectiligne, fut le théâtre par le passé de très nombreux concours et championnats où les bourriches étaient garnies de gardons, le poisson roi, mais aussi de brèmes.
Gobies à gogo
Depuis quelques années, ces espèces se font plus rares, sauf à des périodes précises de l’année, et il faut aujourd’hui compter avec une autre espèce, invasive celle-ci, le gobie. Dès les premiers jours d’entraînement, il était évident que ce dernier allait jouer un rôle clé dans le déroulement de ce championnat du monde. Le passage régulier de péniches commerciales, provoquant bassinées et coups de courant, avait de quoi dérouter lui aussi.
Stratégies presque communes
Les 27 nations engagées sont composées de cinq pêcheurs répartis sur cinq secteurs distincts et séparés géographiquement, avec chacun des profils de profondeurs et de nature du sol différents selon les distances. Les secteurs sont composés de deux sous-secteurs (2 x 14 pêcheurs). Partout, les gobies sont ciblés dans les zones qu’ils affectionnent, des fonds rocailleux, parfois trop, et proches du bord. Ces poissons, dont le poids moyen avoisine 7 g seulement, se pêchent exclusivement sur le fond et avec des lignes très lourdes, car le bruit de la plombée provoque un vif intérêt. À condition donc d’avoir déterminé la bonne distance, s’être fait une image parfaite du relief, mais aussi d’avoir choisi le bon poids de flotteur et le bon hameçon, entre 2 et 4 m du bord, il était possible de réaliser un rythme de prises compris entre un et deux poissons à la minute. Inutile de sortir les calculettes au regard de la rareté des poissons blancs, le gobie sera rentable à condition de pêcher vite et très bien !
Les gardons sont soit de très petite taille (8 à 10 g), soit très gros (jusqu’à 1 kg). Les brèmes, rares elles aussi, sont comprises entre 100 et 500 g, avec quelques spécimens pour les plus chanceux. Mais tous deux sont répartis de manière éparse sur le parcours. Tout le monde adopte des straté gies presque communes : gobies en bordure, tout-venant à mi-distance et poissons blancs à la grande canne après des amorçages précis. Selon le rythme de prises de gobies et le déroulement de ce qui se passe dans le secteur, les pêcheurs restent sur ce poisson ou non. À ce petit jeu, le rôle des accompagnateurs est primordial et les bookmakers donnent les équipes largement favorites au staff le plus expérimenté, pêcheurs et accompagnateurs compris et ceux jouissant de l’approche la plus professionnelle. La position de la France, qui joue à domicile et au regard de la qualité de ses troupes, ne fait débat chez personne, y compris ses adversaires. Viennent ensuite, dans le désordre, les Hongrois qui trustent les podiums internationaux, les Belges et leurs spécialistes des canaux, les Anglais, les Polonais, mais aussi les éternels Italiens.
Les Croates annoncent la couleur
Dès le début de la première manche, les analyses se confirment. C’est une course aux gobies et toute prise de poissons blancs de belle taille propulse le ou les heureux élus en tête de leur quatorzaine, mais cette traque comporte des risques. Le découpage des cinq secteurs séparés, laissant apparaître dix extrémités, met en évidence qu’elles sont imbattables au regard de la difficulté à capturer les blancs. Toutes les espèces étaient davantage présentes sur ces bouts de parcours. Pour preuve, sur les dix vainqueurs de secteur le samedi, sept sont directement placés à proximité d’une aile et les heureux lauréats prenaient une belle option pour la victoire individuelle, car nous gageons que le champion du monde sera parmi eux. Par équipe et d’une vue plus large, des zones difficiles apparaissent avec de nombreux accrocs et/ou des fonds en bordure très irréguliers, rendant la pêche des gobies moins aisée. On voit de-ci, de-là, des poissons blancs apparaître, comme chez Alexandre Caudin qui se sort d’un beau traquenard en capturant de magnifiques gardons, prouvant son talent une nouvelle fois, de même pour l’expérimenté Stéphane Linder.
Victoire nette et sans bavure
La plus grosse surprise vient des Croates qui ne commettent aucune erreur sur une pêche de gobies maîtrisée à la perfection. Ils cumulent plus de 1 200 prises à cinq pêcheurs et remportent la manche avec 18 points seulement (1-1-3-6-7). Derrière, les équipes se tiennent dans un mouchoir de poche, en moins de 10 points, dont 23 pour la France qui est quatrième. Tout est encore possible et la deuxième manche sera une vraie bagarre. Les nuages ont pris la place du soleil et alors que la navigation fut faible la veille, elle est plus intense le dimanche. Le vent s’est levé légèrement aussi. La France attaque cette seconde manche le couteau entre les dents avec l’envie de satisfaire un public venu nombreux l’encourager. Les pêches de gobies semblent marquer le pas et chez les équipes qui jouent leur va-tout, les captures de poissons blancs se font plus rapidement. Très vite, il apparaît qu’il faudra compter avec les gros gardons et les brèmes de toute taille sur certains secteurs clés. Cela s’active autant sur les stations qu’à l’arrière ! Les Smartphones fument et les changements de tactique fusent ! Mais les Croates ne s’en laissent pas conter, ils prouvent que leur communication est à la hauteur et qu’ils savent aussi prendre les bons poissons aux bons endroits. Ils enfoncent le clou en remportant cette seconde manche avec 13 points seulement (2-2-2-3-4). Ils sont suivis de très près par une superbe équipe d’Italie (14 points) et par nos Bleus transcendés. Il faut bien l’avouer, sans aucun chauvinisme, ils n’ont pas été gâtés au tirage au sort sur les deux jours et ont prouvé toute leur adaptabilité et leur maîtrise de la pression à domicile. Côté individuel, nous avons surveillé tous les vainqueurs de secteur de la veille et à ce petit jeu, c’est le surdoué hongrois László Csillag, le seul à avoir remporté son secteur par deux fois, qui accroche la médaille d’or à son palmarès déjà incroyable acquis chez les jeunes.
Du bronze oui, mais avec un parfum d'or
Les indiscutables Croates remportent le premier titre mondial de leur histoire ! Même si nous rêvions tous du plus beau métal pour nos représentants, cette médaille de bronze a un parfum d’or tant le championnat du monde fut de haut vol tactiquement. Hongrie, Pologne et Belgique sont battues ; l’Angleterre, qui n’a pas gagné depuis 2013, est loin. Si la victoire des Croates est inédite, l’Italie, deuxième, est toujours présente et les Français, prêts comme jamais, assoient leur stature internationale avec cette nouvelle médaille qui vient compléter l’or obtenu au championnat d’Europe plus tôt dans la saison. Il y a de quoi être fier, bravo à vous tous !
Au secours de l’Ukraine
Malgré les événements qui secouent leur pays, les Ukrainiens ont aligné une équipe. Malheureusement, dans la semaine, un de leurs membres a été rappelé d’urgence au pays. Suite à un vote, unanime et solidaire de l’ensemble des capitaines, son remplacement par deux pêcheurs français a été accepté. Les talentueux Armand Fasquel et Mathieu Plé ont pu concourir sous la bannière jaune et bleue, le premier le samedi et le second le dimanche.
Le classement individuel
- 1er : László Csillag Hongrie • 2 points
- 2e : Wiktor Walczak Pologne • 3 points
- 3e : Matija Krasevac Croatie • 3 points
Le classement par équipe
- Croatie : 31 points (18 + 13)
- Italie : 40 points (26 + 14)
- France : 43 points (23 + 20)
- Hongrie : 46 points (21 + 25)
- Pologne : 47 points (22 + 25)
Les Français
- 6e : Stéphane Linder
- 20e : Jimmy Martin
- 34e : Stéphane Pottelet
- 43e : Alexandre Caudin
- 45e : Arnaud Dupin
Interview de Matija Krasevac, médaillé de bronze en individuel
La Croatie a non seulement remporté le titre par équipe, mais Matija, leader de la formation, s’est également hissé sur la 3e marche en individuel. Il décortique pour nous la stratégie victorieuse.
Comment avez-vous abordé les entraînements ?
Matija Krasevac : Les deux premiers jours furent une découverte totale. Nos premières bourriches ont été très modestes, car nous avions décidé de faire l’impasse sur les gobies. Mais dès le mercredi, il était évident qu’ils joueraient un rôle important. La prise de brèmes et gardons était hypothétique et encore plus pour une équipe comme la nôtre dont l’expérience était nulle sur ce canal. Le gobie étant totalement absent en Croatie, nous avons transposé son approche à celle de petits poissons-chats, abondants chez nous. Au final, le vendredi, nos bourriches frisaient les 2 kg et nous laissaient espérer atteindre notre but, entrer dans le top 10 !
Quelles furent vos stratégies pour attaquer le championnat ?
M. K. : C’est simple : rester aux gobies tant que nous serions chacun dans les cinq premiers du secteur. Ceux placés sur les postes compliqués avaient pour consigne de pêcher les gobies quatre heures, ceux sur les extrémités avaient l’autorisation de tenter la grande canne une heure trente avant la fin.
Quelles tactiques d’amorçage avez-vous adopté en fonction des espèces ?
M. K. : Pour la pêche des gobies : deux à trois boules de terre grasse de la taille d’une noix farcies de vers et asticots hachés étaient déposées à la coupelle. Pour la mi-distance : après avoir repéré la cassure (le premier fond plat depuis le bord), nous avons déposé un mélange composé à parts égales d’amorce et de terre, puis, par-dessus, quatre boules de terre garnies en fouillis de vase, mais cette option a été abandonnée le dimanche pour optimiser les appâts sur les autres coups. Enfin pour la grande canne : à la main, un tapis de terre de Somme contenant du fouillis était créé avant d’y jeter un mélange composé à parts égales de terre et d’amorce truffé de pinkies rouges morts et de casters. La majorité du fouillis était déposée à la coupelle dans huit boules de terre collées à la bentonite.
Comment se sont déroulées les manches ?
M. K. : Le premier jour, nous supposions que tout le monde serait prudent comme nous, en ne pêchant que les gobies. Si nous devions partir au large, ce ne serait que pour espérer les brèmes et nos lignes étaient montées en conséquence, avec des flotteurs lourds et pour optimiser la stabilité. Nous avions aussi prévu des flotteurs plats. En revanche, nous avons utilisé des hameçons aussi fins et légers que possible. Ce paramètre a alimenté beaucoup de nos échanges préparatoires. Concernant les gobies, dès les passages de bateaux, ils reculaient des coups et nous avons su nous adapter à ces changements de distances constants pour garder un rythme de prises élevé. Alors que le coup du large était réamorcé avec parcimonie, mais régulièrement après une heure de pêche seulement, les coups à gobies ne recevaient plus rien pour ne pas les gaver. Pour continuer à avoir le meilleur ratio touche/ prise, nous avons diminué la taille des esches au fur et à mesure. Le samedi, quatre d’entre nous ont assuré aux gobies et notre cinquième est remonté du fin fond du classement en tentant les brèmes avec succès. Après une première manche aussi fantastique que surprenante pour nous, nous avons décidé de ne pas jouer la sécurité le dimanche mais de prendre des risques. Si bien qu’à la mi-temps, nous attaquions le large à la recherche des brèmes sur tous les secteurs où notre position n’était pas dans la tête de peloton. Cela nous a réussi parce que nous avons complété nos pêches correctes de gobies avec quelques brèmes.