"La diode de ton détecteur s'est allumée". C’est la deuxième phrase émise par Lolo dans la foulée de la première, mais pour contextualiser cette brève histoire, il faut faire un petit bon en arrière, revenir quelques heures en amont. Nous descendions ensemble un fleuve et après quelques nuits florissantes en binôme, nous avons décidé de nous séparer pour la nuit à venir. Je pêcherai en aval de Lolo sur l’entrée d’un bras mort d’une trentaine de mètres de large pendant qu’il exploitera l’arrivée d’un petit ru quelques centaines de mètres plus haut. Les postes sont top confort, Lolo est sur un ilot plat et garni de caillasse tandis que je suis « en patins » sur un banc lisse et sableux. Au petit matin, le bilan est positif pour Laurent, il s’en sort avec quelques communes calibrées ainsi qu’une miroir ronde et trapue assez atypique pour les lieux. De mon côté, c’est la galère, j’ai percé mon pneumatique en arrivant la veille sur le poste et je n’ai pas eu la moindre touche à exploiter avec ma seule canne qui pêchait. Je suis content pour Lolo qui a réussi sa nuitée, pour ma part ce n’est pas bien grave, il nous reste encore du temps de pêche et j’ai profité de cette nuit reposante pour pioncer et réparer mon zod au soir ainsi qu’au lever du jour. En milieu de matinée mon collègue me rejoint, le temps est couvert et mitigé, avec une alternance de pluies éparses et de quelques rayons de soleil qui parviennent à percer le manteau nuageux. Nous pataugeons pieds nus à fleur d’eau sur le sable alors que quelques grondements se font entendre au loin. Un orage se manifeste à longue distance mais il ne nous perturbe aucunement, nous discutons calmement et tranquillement de nos nuits respectives chacun à côté de ma canne toujours en action de pêche. C’est à ce moment-là et contre toute attente que la foudre nous a joué un mauvais tour en frappant un arbre à proximité de mon campement. Nos palpitants sont passés en une fraction de seconde d’une fréquence de croisière à un rythme beaucoup plus saccadé. Nous n’étions clairement pas prêts ! Le souffle dégagé par la foudre nous a glacé la peau et a même fait sonner mon détecteur pourtant réglé au moins sensible...
Quelques secondes et noms d’oiseaux plus tard, une forte odeur soufrée et persistante parvenait à nos narines. Inutile de préciser que nous avons machinalement déguerpi pour nous évader sur un autre poste, conscients et heureux d’être entiers. A quelques mètres prêts, nous aurions pu nous retrouver dans le même état qu’une tranche de brioche restée trop longtemps dans un grille-pain. Dans l’action, Laurent en aura même oublié sa vielle paire de crocs aux semelles aussi lisses qu’un cul de bébé. Alors que nous naviguons, d’autres grondements lointains inquiétants se font entendre et les questions fusent dans ma cervelle de piaf.
Sommes-nous réellement passés près de la mort ?
Bien qu’inutile, c’est la première interrogation qui me vient parmi tant d’autres. Sur le principe, nous sommes clairement chanceux quoi qu’il en soit. Je me promets de fouiner dans mon smartphone à notre prochaine halte afin de tenter de répondre à cette question. Ça y est, nous voilà posés côte à côte sur une nouvelle plage de sable, les montages sont placés et j’en profite pour faire quelques recherches sur les orages et la dangerosité périphérique d’un impact de foudre. Je tombe sur plusieurs documents fiables et très intéressants écrits par des scientifiques, notamment par des chercheurs du CNRS et je réalise qu’effectivement, à quelques mètres près, nous aurions pu être gravement blessés ou côtoyer la mort. Voici une synthèse des quelques informations collectées.
La foudre est une décharge électrique qui se produit très majoritairement lors d’un orage. Le métal n’attire pas la foudre, l’eau non plus d’ailleurs, en revanche ils restent d’excellents conducteurs d’électricité. Plus la distance est courte entre le départ dans les nuages et le point d’impact sur la terre plus les dangers liés au foudroiement sont majeurs. La foudre cherche d’ailleurs principalement le chemin le plus court pour impacter la terre (arbres, clochers…) Les nombreux filaments électriques propagés autour du cœur et des branches de la foudre sont eux aussi potentiellement dangereux. Chaque année en France on compte en moyenne plus de 400 000 impacts de foudre et entre 200 et 300 personnes en sont victimes, 20 à 30 personnes en décèdent soit 10%. Il existe différents types de foudroiement (direct, indirect, latéral, par tension de pas…) et ces derniers possèdent différents degrés de charges électriques. Cependant la charge principale est systématiquement puissante et très brève, elle se diffuse en seulement quelques millisecondes. Une personne foudroyée peut être atteinte de différents symptômes avec différents degrés de gravité. Dans les cas les plus superficiels, des brulures externes sur la peau. Dans les cas les plus graves, des brulures internes beaucoup plus nocives, un arrêt cardiaque, des dégâts neurologiques ou du système nerveux, l’éclatement des tympans… Les dégâts graves occasionnés sur le corps humain sont généralement irréversibles. Généralement le foudroyé gardera une cicatrice plus ou moins grande sur sa peau appelée fleurs de foudre ou figures de Lichtenberg. Ces fleurs de foudre sont aussi visibles sur les terrains herbeux ou sur les parties d’un arbre foudroyé. Elles sont le résultat parfois dramatiquement beau du chemin emprunté par l’électricité déchargée sur son hôte. Ce tatouage gratis ne vaut évidemment pas la peine de jouer avec la foudre et les comportements sécuritaires à adopter sont bien connus.
Pourquoi ce coup de foudre dans nos bottes alors que l’orage semblait lointain ?
C’est la seconde question importante à mes yeux. Nous n’étions clairement pas sous l’orage mais à plusieurs kilomètres de celui-ci. Nous avons presque tous dès notre enfance appris à compter les secondes entre l’éclair et le grondement du tonnerre. Le son mettant environ trois secondes pour parcourir un kilomètre, nous comptions le nombre de seconde après l’éclair jusqu’au grondement et nous multiplions le résultat par trois avec une conversion rapide pour connaitre la distance approximative du coup de foudre. S’il y avait peu de secondes entre l’éclair et le tonnerre, il fallait être vigilant et dormir la tête sous l’oreiller car l’orage approchait. En théorie, cette méthode de calcul est fiable, sauf que la superficie d’un orage est très aléatoire, tout comme les différents impacts de foudre.
Les orages se forment lorsque l’atmosphère est instable et que deux couches d’airs, l’une trop froide et l’autre trop chaude se rencontrent. Des courants d’airs violents et conséquents entraînent alors les sources humides (eau, grêlons, glace…) à l’intérieur du nuage créant des frottements entre les particules. Les différentes frictions émises amènent à une séparation des charges. Les particules les plus légères chargées d’électricité positive vont flotter à la surface du nuage tandis que les plus lourdes chargées en électricité négative vont se diriger vers le bas de ce même nuage. Les mouvements verticaux créés provoquent un déséquilibre entre les différentes charges électriques. Lorsque ces différentes charges s’opposent directement et avec beaucoup de puissance, une décharge électrique s’échappe du nuage. Elle est représentée par un éclair qui va chercher un support terrestre à impacter.
La surface d’un orage est, comme sa charge et son impact, très aléatoire. Un orage ne peut se diffuser que sur quelques centaines de mètres, sous forme de couloir, ou s’étendre sur plusieurs dizaines de kilomètres, voire beaucoup plus. Ce qui explique pourquoi nous avons été pris de court avec Lolo. Il faut aussi préciser qu’aucun autre coup de tonnerre n’a frappé à proximité après notre départ ; le ciel étant couvert, nous avons entendu d’autres grondements lointains, mais sans aucune source d’éclair visible. Bref, nous étions au mauvais endroit au mauvais moment.
Quelle est la distance de sécurité suite à un coup de tonnerre ?
Voici la troisième et dernière question qui m’a traversé les synapses. Après un rapide coup d’œil sur Google Earth, j’estime la distance entre notre position et l’arbre foudroyé à environ 30 - 40 mètres. Cet arbre s’élevant à une bonne vingtaine de mètres de hauteur, on peut se dire qu’en fin de compte, nous ne craignions pas grand-chose. Mais il faut savoir que l’électricité passe dans la sève qui est conductrice pour rejoindre le sol. Ce même arbre possédant des racines dans la terre et d’autre immergées dans la rivière vers notre position, l’électricité s’est inévitablement propagée vers nous. A ce moment, nos pieds nus étaient sur le sable humide et nous n’avons pas ressentis la moindre décharge, seulement le souffle d’air. Cet arbre avec sa sève conductrice a absorbé de plein fouet et propagé à moindre échelle le choc électrique. Il nous a peut-être indirectement sauvé la vie au péril de la sienne. Il faut savoir que la plupart des arbres foudroyés n’y survivent pas. Les impacts de foudre ne sont pas forcément visibles sur l’écorce ou l’aubier mais ils tuent souvent l’arbre à cœur. Il n’y a donc pas de réelle distance de sécurité face à un coup de tonnerre ; celle-ci dépend de différents paramètres comme la puissance du coup de foudre, sa diffusion à l’air et sous terre, la conductivité des matériaux environnants… Chose importante à retenir, la plupart des personnes foudroyées ne le sont pas directement, elles subissent la diffusion de l’arc électrique provoqué par le tonnerre à plus ou moins grande distance.
Jeune et con !
Jusqu’à il y a peu, je fonçais à la pêche quand un orage était annoncé, et ce, malgré les yeux de merlan frit affichés sur le visage de ma compagne. J’aimais cette pratique pleine d’insouciance et promotrice d’adrénaline sous le feu des éclairs. Tantôt sous un pont ou sur une digue, j’ai essuyé de gros orages en continuant de pêcher et je ne suis sûrement pas un cas isolé. Etant dorénavant dans la tranche d’âge entre le jeune con et le vieux fou, je vois les choses avec plus de recul. Il faut aussi avouer que l’anecdote vécue avec Laurent, ça échaude le bonhomme. J’ai donc fait des choix un peu plus sécuritaires en cas d’orage dans l’idée de revoir certaines têtes qui me sont chères. Les orages violents, accompagnés de gros grêlons sont de plus en plus fréquents en France, lorsqu’ils sont potentiellement annoncés, mieux vaut rentrer ou rester à la maison. Dorénavant si je suis au bord de l’eau, dès les premiers grondements qui approchent, je plie les cannes et les détecteurs pour les mettre à plat sous le brolly, lui-même baissé au minium. Allongé dans le bed chair, je laisse le ciel déchaîner sa colère en attendant que l’orage passe, non sans avoir quelques sueurs froides.
Je suis mal placé pour m’ériger en moraliste et vous inciter à faire de même ! Cette pratique n’est pas interdite par la loi, mais elle peut avoir comme effet de raccourcir l’espérance de vie d’un pêcheur. Alors ne soyons pas trop cons ni trop fous, restons prudents et vigilants, un coup de foudre peut parfois vite arriver.