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Les influenceurs du monde carpiste

Je t’aime un peu, beaucoup, à la folie, pas du tout

Avec internet une fenêtre s’est ouverte sur le monde, même si paradoxalement on tourne plus souvent l’objectif vers soi qu’on ne prend le temps de regarder ce qui nous entoure. Les écrans sont des glaces sans teint reflétant ce que nous sommes, on peut y voir beaucoup d’évolutions sociétales sauf à ne pas avoir d’autres repères, d’avoir connu l’avant ou de se cacher les yeux. Le sujet a déjà été traité, mais il évolue tellement vite que j’ai eu envie de l’actualiser, pour au moins quatre (bonnes ?) raisons.

Influenceur new age

En début d’année, fin janvier 2023 exactement, une proposition de loi a été déposée au parlement afin de réguler l’activité des influenceurs. Si la nécessité de légiférer s’est imposée, c’est bien que les choses aient évolué. En quelques années, et tous domaines confondus, nous sommes passés en France d’une poignée de « notoriétés » à quelques 150 000 influenceurs déversant leur contenu à la face du monde sur Youtube, Instagram, Snapchat, Tiktok, Facebook…

Je t’aime un peu, beaucoup, à la folie, pas du tout

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Au total, le secteur pèserait désormais près d’un milliard d’euros en France. Dans notre loisir, qui ne l’oublions pas est aussi un business pour beaucoup, les plus gros influenceurs français ont quelques dizaines de milliers de followers là où les célébrités internationales, anglaises notamment, en comptent plusieurs centaines de milliers. Dans cette course à l’échalotte 2.0, la proposition de loi déposée vise à limiter les pratiques abusives de certains qui sont parfois à la limite de l’escroquerie. Elle commence par définir comme influenceurs les personnes qui à titre onéreux font en ligne la promotion directe ou indirecte de biens, de services ou d’une cause quelconque. Je ne vais pas passer en revue tous les détails du projet de loi mais une chose résonne comme une évidence : s’il y a des influenceurs c’est qu’il y a des influencés et encore plus d’influençables, aux premiers rangs desquels on trouve les ados et les enfants. Bien que la majorité numérique (pour s’inscrire seul sur un réseau social) soit fixée à 15 ans, les études font apparaitre que la moitié des 6-10 ans ont un smartphone et que 80% des ados consultent les sites et réseaux sans l’avis (ni le discernement) de leurs parents. C’est ainsi.

Ça fish ou s’afficher ?

La seconde raison part du principe qu’on ne se réfère qu’à ce qu’on connait, et n’a donc d’autre vocation que de partager une expérience. Sans chercher à l’être, j’ai été sponsorisé il y a 20 ans par des marques qui en feraient baver d’envie plus d’un encore aujourd’hui : Prowess, Nutrabaits, Korda… Cela faisait bien 10/15 ans déjà que les pionniers nous faisaient rêver en posant sur les couvertures des catalogues, marquant le début d’un (r)évolution là où dans les années 50 l’unique star en termes de réclame c’était le produit. Grace au sponsoring, j’ai vécu de belles aventures humaines, accompagné de personnes avec lesquelles j’étais déjà lié d’amitié et avec des « patrons » qui pour moi n’en étaient pas, au sens des relations « patron-employé » dont je ne voulais surtout pas. Ceux qui ont côtoyés Francis Coutou ou Bill Cottam comprendront. Puis nous avons décidé de mettre fin à notre relation, d’un commun accord, enfin surtout moi à vrai dire, non pas à cause de la qualité des produits, mais à cause de l’évolution des clauses du sponsoring au fil des évolutions de gouvernance ou de management. Pour faire simple, au début il n’y avait pas de contrat. Je dirais même mieux (pour moi) : c’était du pur mécénat !

Rien ne sert d’aller vite !
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On me filait des trucs pour que je puisse exercer ma passion : pêcher ! Et c’est bien là le premier point d’une réelle dichotomie : chez les pêcheurs il y a ceux dont le leitmotiv est de pêcher (et qui à la limite ni ne pèsent, ni ne photographient) et il y a ceux qui veulent faire partie du système en s’affichant. Je n’irais pas jusqu’à dire que je me moque éperdument du second point, je ne pense pas être ni plus ni moins narcissique que la moyenne et, si je ne fuis pas mon image, je n’aime pas consacrer trop de temps à la capturer au détriment de la pêche et surtout des poissons. Est-ce de la schizophrénie ou de l’empathie exacerbée pour un carpiste, mais j’ai une sainte-horreur de voir un poisson se débattre sur un tapis rien qu’en pensant à ses nageoires…

Je garde ma liberté
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Je cogite plus à ce qui peut lui arriver qu’à ce que les autres peuvent bien penser de moi et aux retombées en nombre de likes (je m’en fous ça ne change rien à ce que je suis). Quand on est capable de claquer la porte d’une revue, d’une marque, de zigouiller la poule aux œufs d’or c’est que son essentiel est ailleurs que dans ces oripeaux. Et puisque je parle d’égo, si j’arrive à m’en détacher aussi facilement que je quitte l’uniforme c’est parce que j’estime ne plus rien avoir à me prouver : je suis en phase avec moi-même, ce qui est peut-être un des rares privilèges de l’âge. Lâcher prise, ne pas nourrir son égo et être heureux de prendre « les petits poissons qui nagent, qui nagent aussi bien que les gros ». J’ai ce luxe d’être globalement à l’abri des soucis matériels, ce qui arrive avec les années pour certains quand d’autres s’en détachent complétement bien plus jeunes. Dit autrement je m’achète ce dont j’ai envie et c’est peut-être aussi le prix à payer pour être libre, prenons un exemple. Quand j’étais sponsorisé par une des marques sus citées, j’aurais dû par exemple pêcher avec des « birdy » (qui faisaient donc déjà tweet au lieu de faire bip), détecteurs estampillés entrée de gamme alors que j’avais depuis longtemps investi dans des Delkim… C’est un peu comme si on vous demandait d’échanger votre Rolex pour une Casio, ou votre Ferrari pour une Twingo, comme l’explique en chanson Shakira à Gerard Piqué. En fait, à 50 balais ++, je n’ai qu’une vieille ZX mais toujours autant de plaisir à être au bord de l’eau.

Et oui, les petits poissons ont le droit à la une !
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Bref je ne suis pas bling-bling au sens de matérialiste, sauf en ce qui concerne mes ustensiles de pêche. En fait pas tant que ça, disons que j’essaie d’être dans l’efficience (rapport qualité/prix puisque ce sont mes deniers) sans nécessairement viser l’excellence ou le luxe. Une Swatch donne aussi bien l’heure au bord de l’eau qu’une Rolex, Zézette m’emmène mieux à la pêche sur les chemins de traverse qu’une Ferrari. Mes TXI fonctionnent toujours, ne parlons plus des petits oiseaux… Enfin ne pêcher qu’avec une marque c’est aussi un peu s’enfermer dans ses propres convictions : évidement qu’on va prendre des poissons avec la bouillette « bidule » puisqu’on pêche avec, par contre comment voir si elle est mieux ou moins bien que telle autre avec laquelle on ne pêche pas ? C’est valable pour tout et finalement quoi de mieux que l’éclectisme ?

Ce n’est que de la pêche
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Être free, est-ce avoir tout compris ?

Le troisième point de contexte, lié au second, c’est que j’ai refusé poliment, tout en les remerciant de leur sollicitude, une « demi-douzaine » – quantité que me souffle mon égo parce que ça lui plait mieux que de dire six quand en réalité ce n’est que cinq - propositions de sponsoring. C’est évidemment super gentil à eux de penser à moi, ça flatte mon égo - et ça m’attriste même de refuser quand ça vient d’un ami - mais je préfère faire comme le quidam, c’est à dire m’acheter ce que je peux, profiter des promotions pour commander des bouillettes et ne pas porter d’autre casquette que le bandana que m’a offert une de mes filles, couvre-chef qui a le mérite de me rappeler de profiter de la vie, mortel que je suis, ou avec le chapeau de brousse délavé acheté chez mon détaillant pour me protéger du soleil comme de la pluie, du temps qui passe et du melon qui enfle. Malgré nous, les choses sont aussi un reflet de ce que nous sommes, un signe extérieur sinon de richesse du moins d’appartenance dans lequel on s’affiche, comme d’être Canoniste versus Nikoniste, Daiwa vs Shimano, Delkim ou Fox, j’en passe et des meilleurs selon la formule consacrée... Je ne voudrais pas faire de psycho-sociologie de comptoir ni vous saouler avec la métacognition, sauf qu’un peu de jus de cervelle et de lumière à tous les étages nous aide à y voir un peu plus clair dans la vie. Le psychologue Abraham Maslow a expliqué dans sa pyramide des besoins ceux qui nous guidaient, des plus basiques aux plus « élevés ».

Influencé par Taz
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Ceux physiologiques d’abord, comme se nourrir, se reproduire… Ceux de sécurité ensuite comme d’avoir un toit, fonder une famille, ceux d’appartenance à un groupe (on est en plein dedans), puis d’estime de soi et enfin d’accomplissement. En fonction des gens, le sponsoring peut se situer à l’un ou l’autre de ces niveaux, voire à plusieurs ou même à tous car répondant à bien des besoins : l’assurance de satisfaire ses besoins matériels pour pêcher (plein de bouillettes pour amorcer, du matos qu’on n’a pas les moyens de s’offrir ou mieux que ce que l’on a, pour renouveler son équipement, ou une rétribution...), mais aussi psychologiquement en faisant partie d’une team ou de représenter une marque et se sentir exister avec sa casquette ou son hoodie floqué, voire même (le graal !) espérer devenir quelqu’un à travers la pêche !

Obligation de résultat

Cette quête, et ce sera le quatrième et dernier élément de contexte que je souhaitais évoquer avec vous, peut devenir déraisonnable. Sincèrement et quitte à provoquer pour être pédagogue, je serais bien moins choqué par quelqu’un qui mangerait une carpe écaillée parce qu’il n’a pas grand-chose d’autre à becqueter au fin fond du delta du Danube, que par celui (ou ceux) qui pour se faire de l’argent ou s’afficher avec un poisson feraient tout et surtout n’importe quoi. J’ai quand même un peu l’impression que certains individus se sentent obligés, pour espérer gagner en audience et renvoyer l’ascenseur à la main qui les alimente (rapport « patron-employé ») d’effectivement faire un peu tout ou n’importe quoi. En fait ce qui compte ce n’est plus vraiment de pêcher pour pêcher, c’est-à-dire d’être dans l’instant présent, ici et maintenant, mais de faire tout pour gagner en visibilité comme par exemple aller remplir son album de 25+ dans des privés. Solution de facilité ? Honnêtement je pense que oui. Soit dit en passant, je n’ai fondamentalement aucun problème avec les privés (sauf avec les véreux bien sûr) et je comprends parfaitement que beaucoup de pêcheurs y aillent pour des questions pratiques : faute de temps pour pêcher autrement ou ailleurs, faute de pêche de nuit chez eux, pour la sécurité ou le confort et les commodités en famille, ou parce que c’est ça ou raccrocher les cannes lorsque le physique ne suit plus, ou tout simplement parce que le côté technique leur plait…

Ne soyons pas dupes, là où le sponsorisé d’il y a vingt ou trente ans n’avait pas vraiment d’obligation de résultat (peut-être parce qu’il y avait moins de concurrence ou que le marché était moins compliqué ou en tout cas différent ?), l’influenceur d’aujourd’hui doit jouer des coudes pour faire de l’audience. Si ce n’était pas si triste c’en serait presque comique, en tout cas ça me fait bien marrer chaque fois que je regarde la rubrique sur les influenceurs dans le petit Q (vous savez ces gros zéros avec une petite queue en bas) sur TMC… On atteint parfois des sommets !

La pyramide de Gims

Je dis ça mais en fait, paradoxalement, je ne suis déjà plus (de) ce monde. Je vis ma vie d’anachorète, selon le principe de superposition quantique ou du chat de Schrödinger. Là je sens que je vais en perdre un paquet d’entre vous : j’y suis, je n’y suis plus, j’y suis… Bref, même détaché de ce monde à un moment ça m’arrive quand même aux oreilles, on vient m’en parler dans ma retraite même si je n’ai rien demandé comme on m’a parlé récemment d’un team qui a pêché en bateau cabine de nuit (interdit), avec plein de cannes sur un lac classé en 1ere catégorie (interdit), en réserve (interdit) et qui, cerise sur le cageot, a eu le culot de sortir tout cela en vidéo. On atteint le sommet de la pyramide. Il parait d’ailleurs que c’est à ça qu’on les reconnait. Quand « on » enfreint autant d’interdits, la moindre des choses ne serait-elle pas de juste la fermer pour ne pas mettre aux abois les gestionnaires de la pêche en France ? Mais ça « on » s’en fout… Si le phare à « on » (celui qui éclaire votre objectif dans la vie) c’est de faire plein de gros poissons, y compris là où c’est interdit, prenez les mais fermez votre goule, sinon c’est la porte ouverte à toutes les fenêtres ! J’en reviens à la notion d’influençabilité, de l’envie d’appartenir à un groupe et à la superposition des mondes : on ne doit tout simplement pas vivre sur la même planète, on n’a pas grandi avec les mêmes modèles et ce n’est pas une question de génération… Je vois bien qu’il y a des gamins de banlieue qui font les guetteurs et qui plus tard dealeront avant de régler leurs comptes au Glock ou à la Kalach… comme ils disent. Eux aussi sont dans la pyramide de Maslow : besoins matériels, vie en autarcie en bande organisée, sentiment d’appartenance, caïds comme référence. Je ne juge pas, j’essaie d’expliquer. J’aurais peut-être fait de même si j’étais né ou avait été élevé dans leur monde. Le hic, c’est qu’à donner de la visibilité et à normaliser voire encenser ce genre d’exactions, les générations d’ados rebelles (pléonasme) s’identifieront à ce mode de vie et feront de même. Surtout si l’immunité et l’omerta sont quasi générales… Ne dit-on pas que ceux qui ne disent mot consentent ? Ce serait pourtant simple de dire qu’on a (ou qu’ils ont) été un peu loin, qu’on a fait une connerie, qu’on ne cautionne pas, qu’on n’est pas d’accord… Dommage, il y a probablement des mecs « bien » qui naviguent comme ils peuvent au milieu de tout cela, mais qui, pour quelques (centaines de) kilos de bouillettes, ne diront rien… Perso je ne peux pas.

Juste pour le plaisir de partager
Crédit photo :

Quand le monde souffre de l’inaction des gens de bien

Autre lieu, même schéma. Sur le barrage de Castelnau (Cabanac) il est désormais interdit de bivouaquer en dehors des zones de pêche de nuit, je cite « pour faire face à une augmentation des nuisances […] » Je n’irai pas crier haro sur le baudet aveyronnais avec les loups des réseaux. Cette fédé qui fait beaucoup pour tous les pêcheurs fait sûrement tout ce qu’elle peut pour sauver la pêche de nuit. J’écrivais dans le précédent numéro « mes jours valent vos nuits » … Devrais-je écrire « valaient » ? J’ai pêché hors secteurs à Castelnau, respectant l’heure légale pour tendre le matin, l’heure légale pour relever les lignes le soir et roupiller entre les deux pour retendre le matin, sans autre nuisance que mes ronflements. J’ai fait pareil à Cazaux-Sanguinet… J’ai aussi pêché de nuit-là où je ne devais pas, je n’ai pas la prétention d’être un saint, mais rarement on ne m’a vu, jamais je ne me suis fait chopper et jamais je n’ai nuit à la communauté carpiste. Or voilà qu’une fois encore le sentiment d’impunité de quelques individus, qui doivent surement croire que le monde leur appartient, va nuire à l’immense majorité des mecs qui se comportent bien. Je pourrais allonger la liste avec bien d’autres lieux qu’on nous a aussi interdit pour nuisance… Je lis sur les réseaux sociaux comment la fédé de Saône et Loire se faire incendier pour avoir fait des contrôles. On ne peut pas vouloir tout et son contraire ; tout laisser faire d’un côté, laisser en roue libre l’impunité généralisée qui engendre ce cercle vicieux et gueuler d’un autre quand (enfin !) il y a des opérations de contrôle pour tenter d’enrayer les trafics en tout genre.


Crédit photo : Taz, de Warner Bros. /DR Shutterstock

Pour finir ce coup de gueule sur deux notes positives, s’il devait y avoir quelque chose au-delà de la pyramide, un autre étage au-dessus de l’estime de soi et de l’accomplissement personnel, ce pourrait être la notion de partage, de transmission, l’altruisme. Car si s’accomplir est une chose, ne serait-ce pas un peu égoïste de ne pas en faire profiter un peu les autres, ceux qui veulent, lorsque soi-même, en tant que « notoriété » on leur doit tout (et rien à la fois !) et abandonner ce monde au fake pour retourner dans sa grotte (j’y suis pas, j’y suis…). Heureusement il y a beaucoup de marques et beaucoup de carpistes, influenceurs ou pas, qui ne vont pas du côté obscur pour quelques miettes de cookies. Que la force reste avec eux.

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