Pourquoi piquer l’hameçon dans la bouche d'une carpe et poursuivre le jeu sans se soucier de son bien-être ? N'est-ce pas schizophrène et absolument hypocrite ? N’est-ce pas un non-sens de plus ? Le « sacking » n'est pas considéré comme un problème pour la carpe, non ? Qu’en dites-vous ? On pense que les photographies sont bien meilleures avec un beau soleil du matin que la nuit et il est bien connu que rien n'arrive à la carpe dans le sac... Au contraire, elle peut se rétablir. Alors, pourquoi une introduction si négative ? Cela ressemble à une publication de protection des animaux !
Problème controversé : les opinions diffèrent sur cette question comme sur quelques autres sujets. Alors que certains pêcheurs à la ligne pensent que la carpe ne doit pas être traitée comme un animal de compagnie et être retenue sans trop y penser, d'autres tentent de minimiser le niveau de stress, de photographier la nuit ou de la relâcher immédiatement après la capture. Mais ce sac signifie-t-il vraiment un stress pour la carpe ? Est-ce un dommage supplémentaire ? Peut-on estimer l’impact de cette détention forcée ? Et comment une carpe se comporte-t-elle après ?
Qu’en penses le professeur ?
Concrètement, ces questions ont été posées par le Professeur Robert Arlinghaus et ses collègues de l’université du Wyoming dans le cadre d'études scientifiques menées en Allemagne ainsi qu'au Canada (les références bibliographiques sont jointes en fin d’article). Au cours de la première expérience, la capture de 120 carpes de deux ans (moyenne de 27 cm de long) a été simulée en laboratoire et, par la suite, les carpes ont été conservées dans de petits sacs sur différentes durées. Les hormones de stress telles que le cortisol et les indicateurs de stress secondaires tels que les valeurs de glycémie ont été mesurés avec des échantillons de sang pour être comparés. Les temps de conservation étaient fixés à une demi-heure, trois, six et neuf heures. Les résultats ont été concluants : en augmentant le temps de rétention, le niveau de stress augmentait de plus en plus. Les carpes les plus longuement conservées en sac éprouvaient davantage de stress. Les scientifiques ont également pu prouver que le taux de lactate dans le sang diminuait après trois heures de conservation, ce qui signifie que muscles de la carpe se rétablissent de la capture, du combat.
Accumulation de stress pour madame !
Ces résultats confirment les expériences de la vie réelle. Tout d'abord, une carpe n’est pas calme dans un sac, dans le silence elle accumule du stress. Deuxièmement, la carpe se rétablit physiquement après une heure ou deux dans le sac, elle devient alors beaucoup plus vive et difficile à photographier que directement après la capture. Ainsi, une longue mise au sac signifie que le poisson accumulera deux stress consécutifs au cours d’une seule journée. En plus d'une consommation d'énergie et d’un stress largement accru, la séance photo devient parfois dangereuse pour la carpe, entraînant risques de blessures, chutes, sauts en dehors du tapis. En dehors de son élément liquide, le risque de blessure est augmenté pour la carpe qui a récupéré sa réserve énergétique. Sa tête peut être heurtée quand le poisson frappe une pierre ou une racine avec sa caudale, ce n’est pas rare. Une ouïe peut gravement saigner, elle peut casser l’une de ses nageoires si elles sont mal pliées dans le sac soulevé... La nageoire pectorale ou caudale se rompt alors franchement, comme coupée aux ciseaux. Il ne serait pas surprenant que la grande majorité des nageoires cassées provienne du maintien de la carpe dans ces sacs. Il est donc pour moi hors de question de leur faire courir ces risques de blessure dus au maintien en captivité.
Les scientifiques ont également mesuré les dégâts tissulaires causés par la conservation. Pas visible mais parfaitement mesurables : certaines enzymes cellulaires du sang augmentaient avec une rétention plus longue et atteignaient après neuf heures de mise au sac des niveaux deux à trois fois supérieurs aux valeurs antérieures. Concrètement, on sent au toucher que la peau est endommagée suite au passage par le sac, le mucus protecteur est arraché, abimé. Pour un poisson, tout le processus est traumatisant : on les déplace du filet d'épuisette vers le tapis de réception (qui peut être sec) jusque dans le sac de pesée et finalement dans le sac de conservation. Il est entendu que de telles agressions cutanées affaiblissent la carpe. Le nombre d’étapes post-capture et la durée de conservation doivent autant que cela est possible être réduits au minimum. Pendant longtemps, il fut interdit de conserver une carpe au lac de Saint-Cassien. Pour une bonne raison : une fois hors de l'eau, la carpe se débat et de nombreux accidents se sont produits. Les sacs de carpe se détachent aussi parfois de leur attache et, s'il n'est pas retrouvé, une infernale agonie attend le poisson prisonnier. De telles choses se sont passées à Cassien régulièrement.
Aussi, le comportement de la carpe change avec le temps de rétention. Pour tester cette relation, les scientifiques ont implanté de petits émetteurs radio dans quarante carpes communes pesant jusqu'à dix kilos, dans une masse d'eau naturelle au Canada. Le but ? Observer le comportement à la nage directement après la capture et après différentes durées de rétention. Au moyen d'une antenne radio-télémétrique, les scientifiques ont observé qu'il y avait une corrélation directe du temps de conservation avec le temps nécessaire pour nager activement après la libération. Par exemple, après neuf heures au sac, elles ne nageaient pas et demeuraient à proximité pendant environ une heure. En comparaison, les carpes détenues trois heures retrouvaient leur comportement actif de nage après une demi-heure. Les scientifiques ont cependant souligné qu'il n'y avait aucune différence dans le comportement de déplacement des poissons douze heures après la libération des carpes.
Limiter la captivité
Qu'est-ce que cela signifie pour un poisson qui a été pêché et maintenu captif pendant neuf heures dans un lac de 3000 hectares ? Combien de temps cela prendrait-il jusqu'à ce que la carpe retrouve son groupe qui a peut-être quitté la zone d'alimentation depuis bien longtemps et pourrait maintenant être à plusieurs kilomètres ? On pourrait facilement imaginer que le fait de retrouver rapidement les siens l'aiderait à se stabiliser, à retrouver un comportement normal, à se remettre de la séance de capture, de conservation et de photographie.
On suppose que la carpe, de réputation robuste, survit bien à la rétention. Mais la vie d’une carpe n'est jamais complètement sûre lorsqu’elle est placée dans un sac. Dans de l'eau tiède et des herbes rivulaires, par exemple, le niveau d'oxygène peut chuter de façon spectaculaire pendant la nuit. C'est parce que la solubilité de l'oxygène diminue à mesure que la température de l'eau augmente et que les plantes ne produisent pas mais consomment de l'oxygène quand il n'y a pas de lumière. En outre, la carpe stressée nécessite plus d'oxygène pour se remettre de la capture de sorte qu'il devient possible que l’oxygène vienne à manquer, et la carpe meurt dans le sac. Ceci se produit en particulier pendant la période de frai, lorsque les femelles portent des œufs, car leurs besoins en oxygène s’accroissent, ou pendant l'été quand il y a une abondance massive de plantes aquatiques. Il est très important alors d’estimer le niveau d'oxygène disponible avant de conserver une carpe pour la nuit. En outre, le pêcheur doit bien choisir le lieu où il installe son sac de conservation. Il y a une grande différence si un poisson est déposé dans l'eau peu profonde entre les roches, ou dans l'eau plus profonde au-dessus d’un substrat plus doux. Si vraiment vous souhaitiez conserver un poisson, la carpe doit alors être doucement fatiguée après sa rétention, juste au-dessus de la surface de l'eau. Attention évidemment à bien plaquer les nageoires le long du corps lors des déplacements. Mais finalement, la conservation est-elle vraiment nécessaire ? Ne pourrait-on pas systématiquement s’en passer ?
Pour moi, il existe des cas rares où la rétention eu sac demeure nécessaire. Par exemple, dans une nuit très froide avec des températures nettement inférieures à 0°C, une séance photo doit être de très courte durée ou reportée au lendemain matin lorsque les températures augmentent. Imaginez la situation avec les mains humides par -10°C. Ce n'est pas très différent pour la carpe dont tout le corps est exposé à ces conditions notamment les ouïes. Une autre circonstance qui rend difficile la photographie est la forte pluie. Parfois, il est inévitable de conserver la carpe jusqu'à ce qu'elle diminue un peu, et attendre qu’elle soit acceptable pour la photo !
La captivité ne devrait-elle pas se restreindre à son minimum absolu ? D’un point de vue extérieur, presque tous les non-pêcheurs voient comme une chose logique le fait de libérer un poisson qui n'est pas destiné à la consommation. Il est beaucoup plus difficile pour eux de comprendre le fait de retenir le poisson toute une nuit dans un sac, pour le photographier le lendemain : On double le stress, on augmente très significativement les risques de blessures, sans parler de la désorientation de la carpe… Très difficile à expliquer à un non pêcheur ou un « ami » des animaux, et de fait !
Le sac reste dans le sac
Finalement, chacun peut décider seul. Personnellement, je n'utilise plus de sac à carpe depuis plus de dix ans. A quelques exceptions, je retiens la carpe moins d’une heure dans un « retention sling » (Trakker XL), qui fait à la fois office de sac de captivité et de sac de pesée, juste le temps nécessaire à préparer la photo de nuit ! On se sent soi-même l’esprit tellement plus libre lorsque l’on rejoint sa couche, si la fully-scalled sauvage a regagné son lac et n'est pas emprisonnée dans un sac ! Les photos tout de suite après la capture sont les plus agréables de toute façon : l'étonnement, la joie brillant dans les yeux, au lieu du regard stressé en raison d'un poisson agité après une longue rétention. On vit alors l’instant, le réel laisse place au simulé. La photo saisit alors le moment magique de la capture, celui qui restera, et pas le lendemain matin quand le soleil aura, qu’on le veuille ou non, changé un peu tout cela.
Certaines personnes disent que nous devrions arrêter de pêcher, si nous sommes tellement préoccupés par le bien-être de la carpe. On entend aussi : « Nous sommes des pêcheurs, cela cause des blessures aux poissons. Nous faisons des entailles dans leurs bouches et parfois aussi brisons une nageoire. Voilà c’est comme ça ! » … Je réponds « Foutaises ! »
Certains « pêcheurs » à la ligne se préoccupent uniquement des kilos, du nombre de « j’aime » et de la renommée plutôt que de tenter de faire partie de la nature et de réduire autant que possible son impact. Prenons nos responsabilités !!! Evitons les dommages inutiles ! On ne peut pas attraper une carpe sans hameçon mais on a la possibilité la photographier dans les meilleures dispositions, en ligne avec notre éthique. Essayons de réduire la rétention de la carpe, il n’est jamais trop tard pour faire évoluer ses habitudes vers la photographie des poissons (aussi) la nuit ! Les photos de nuit ne sont pas impossibles, bien au contraire. Si vous utilisez les paramètres basiques de l'appareil et que l'utilisation du flash est correcte, c'est relativement simple. Les conditions sont toujours les mêmes : il fait noir. Donc, cher lecteur, si vous souhaitez découvrir les meilleures méthodes pour photographier vos prises de nuit, rendez-vous dans le prochain Media Carpe. Ce n'est vraiment pas sorcier, promis !
Cheers !
Des documents référencés peuvent être trouvés et téléchargés sur www.besatz-fisch.de et www.ifishman.de:
Rapp et al. 2012, Fisheries Research 125-126: Conséquences physiologiques et comportementales de la capture et de la rétention dans les sacs à carpe de la carpe commune (Cyprinus carpio L.), avec des implications pour la pêche récréative des captures et des rejets.
Rapp et al. 2014, journal nord-américain de la gestion des pêches 34: Conséquences de l'exposition à l'air sur la physiologie et le comportement des carpes communes capturées et relâchées, en laboratoire et en conditions naturelles.
(Aucune traduction des références littéraires)