Ce que j’ai appelé jackspot – on me pardonnera ce barbarisme– est dans mon esprit une sorte de spot magique où de nombreux poissons sont concentrés sans que l’on sache très bien expliquer pourquoi. Il y a certainement une raison, mais laquelle ? Ça reste pour moi un mystère…
Inaperçu
Je ne parle pas de spot secret découvert, où il y aurait une belle population de poissons très peu pêchés, comme un étang privé, par exemple, ou un endroit inaccessible délaissé par les pêcheurs. Il ne s’agit pas non plus d’une journée faste où les poissons seraient comme fous. Nous avons tous eu l’occasion de bénéficier de ce genre d’aubaine… Non, ici, je veux parler d’un phénomène ponctuel, un rassemblement important et inhabituel dans un biotope accessible et ouvert à tous, sur une zone assez restreinte n’ayant en apparence rien de spécial. Il n’existait pas la semaine dernière et n’existera plus dans une ou deux semaines, peut-être même dans une heure… Le phénomène semble assez rare et le fait est qu’il a de bonnes chances de passer inaperçu s’il est de courte durée. Tout bien réfléchi, peut-être n’est-il pas si rare que ça ! Quelques exemples vécus permettent de montrer la différence entre un jackspot et une simple période faste. Deux fois dans ma carrière, en effet, j’ai eu l’occasion d’amener une centaine de sandres au bateau. Pas tout seul, mais à deux et trois pêcheurs.
Boules de vifs
La première fois se passe en France, à l’occasion d’un reportage pour le magazine concernant le plomb-palette, en compagnie de Laurent Vrignaud. C’était exactement le 11 novembre 2008, soit deux jours avant la pleine lune. Nous avons pêché toute la matinée une dizaine de poissons, sandres et perches, ce qui est honorable, en exploitant simplement les postes connus comme étant des valeurs sûres. Mais en début d’après-midi, l’arrêt des touches nous oblige à prospecter davantage. Après un essai infructueux, je traverse le lac au moteur électrique quand, à 30m du bord, je distingue au sondeur quelques boules de vifs dans 15m d’eau. On s’y intéresse aussitôt et, dès les premières animations, Laurent pique une grosse perche. Nous insistons et, très vite, les choses s’accélèrent. Très actifs, les carnassiers semblent concentrés sur une surface à peine plus grande qu’un terrain de basket. La zone en question, un petit plateau donnant sur les grands fonds, est souvent bonne au niveau de la cassure mais jamais je n’y ai vu un tel rassemblement. Dès que l’on s’en écarte, les touchent cessent…
De la folie
En l’espace de deux heures, nous touchons une centaine de poissons, en majorité des sandres. De la folie pure. Dès que le leurre est au fond, c’est la touche. Si ça décroche, une autre touche survient aussitôt. Nous réalisons doublé sur doublé. Voilà pour moi ce qu’est l’exemple parfait d’un jackspot, combiné à des conditions de pêche favorables. Nous croisons des collègues qui ont fait une bonne pêche, une grosse dizaine de poissons, donc en effet ça mordait. Mais le spot que nous avons trouvé était vraiment spécial. Mais ce jour-là seulement: testé le lendemain, il n’y avait plus un poisson !
Partout
Ma seconde anecdote se passe en Espagne, à Orellana, le 16 octobre 2020, jour de la nouvelle lune, en compagnie de deux amis. Nous montons 102 poissons au bateau, en grande majorité des sandres et quelques brochets. Cette fois, les touches s’étalent sur toute la journée et sur différentes zones éloignées. Certains spots donnent plus que d’autres, mais globalement il y a du poisson à prendre un peu partout du moins dans le secteur central du lac. Cette fois pas de jackspot, juste une excellente journée dans un lac riche où le poisson a été actif tout le temps. Du reste, la pêche fut assez faste pendant trois semaines.
On ne saura jamais
On comprend mieux la distinction que je fais entre une journée faste, une zone porteuse, assez vaste, et un vrai jackspot, restreint dans l’espace et le temps. Je pourrais citer quelques autres exemples de concentrations ponctuelles donnant lieu à des pêches hors norme. Parfois, c’est lié à une concentration importante de fourrage et c’est facile à expliquer. Mais d’autres fois, rien de tel. Un ami guide de pêche a, par exemple, trouvé un jour une concentration de gros brochets pélagiques sur une zone grande comme deux terrains de football. Dans 35m d’eau, à 300m du bord, des poutres se promenaient entre deux eaux. Pourquoi là ? On ne le saura jamais mais il touche plus de vingt poissons entre 1 et 1,20m en dix jours, avant qu’ils se dispersent. Depuis, je scanne régulièrement ce secteur… Mais à part quelques sandres, rien à signaler. Ce qui ne veut pas dire que ça n’arrivera pas à nouveau. En fait, il est très facile de passer à côté de ce type de phénomène. Souvent ça se joue à pas grand-chose, un manque de chance, de curiosité ou d’observation…
Trente poissons
Le mois dernier, en Espagne, nous pêchions avec des amis, à deux bateaux. Nous explorons une rive où on ne voit ni ne prend rien. L’autre bateau s’apprête à changer de secteur tandis que, de mon côté, je continue de longer la berge, arrivant contre une courte falaise où j’identifie, au sondeur, des dizaines de beaux échos. Au premier passage, je touche un gros comizo. Mes amis, voyant de loin le combat, font demi-tour. Résultat, en deux heures, plus de trente poissons entre 70 et 80cm sur un spot grand comme un terrain de basket. Nous pouvions très bien passer à côté, si j’avais lâché l’affaire 30m plus tôt. Depuis cette journée, je repêche bien sûr très régulièrement ce poste mais sans grand succès. C’était l’opportunité d’un jour. Mais une fois qu’on a pris conscience de la réalité de ces phénomènes et qu’on y accorde une certaine attention, alors on s’aperçoit qu’ils ne sont plus aussi rares qu’on le croyait.
Rester attentif
De là à penser qu’il y a toujours un jackspot potentiel là où on pêche, il y a un pas que je ne franchirais pas complètement quoique… Sur des centaines voire des milliers d’hectares, bien malin celui qui peut prétendre avoir regardé partout. Mais alors, comment trouver ces spots magiques ? Je n’ai bien sûr pas la réponse. Être conscient qu’ils peuvent exister est un point de départ. Rester attentif à ce que montre l’électronique, quand on pêche en bateau, est évidemment impératif. Toute zone où l’on remarque une concentration inhabituelle (fourrage, gros échos) doit être testée, il faut vérifier et essayer de comprendre. L’électronique moderne (imagerie instantanée notamment) renseigne assez facilement, par l’observation des réactions aux leurres, sur la nature des poissons présents (carnassiers, gros blancs). Si c’est du carnassier, même si on ne prend rien, il faut revenir un peu plus tard. Enfin, pour trouver un jackspot, il faut être mobile et ne pas passer une demi-journée sur un même secteur, même si on y prend quelques poissons.
Il faut y croire
Il ne faut pas hésiter à rentrer dans une baie quelconque juste pour jeter un œil, regarder en pleine eau ce qui se passe, varier les zones (haut, milieu et bas d’un lac) et les types de postes (abrupts, plages, cailloux, terre, arbres noyés, etc.). Et ne jamais cesser d’y croire très fort !
Le jackspot roulant
Une concentration de carnassiers peut se déplacer rapidement. Quand il s’agit de quelques poissons (percidés notamment), c’est juste un banc qui passe. Mais il m’est arrivé de tomber sur un banc d’une centaine de sandres, de faire des doublés ou triplés pendant dix minutes. Puis, à la dérive suivante, quasiment plus rien, les poissons ont disparu. Un banc de cette importance qui disparaît en quelques minutes et qu’on ne retrouve pas, pour moi c’est bel et bien une migration d’une zone jusqu’à une autre