Un concours de circonstances a poussé la fédération du Rhône à expérimenter la fenêtre de capture. Entre 2005 et 2009, la consommation du poisson a été interdite sur le réservoir du Grand-Large en raison de fortes teneurs en PCB. La population de brochets a explosé, d’autant que des travaux de curage en 2003 et 2004 avaient rendu le biotope très propice (2 m de fond et une eau claire favorisant la végétation sur 150 hectares !). La barre des 130 cm a même été franchie pendant cette période de no-kill obligatoire !
Un long chemin
« Mais assez vite après le retour des prélèvements début 2010, les pêcheurs nous ont alertés sur le fait que les grands brochets étaient conservés, et nous avons mis en place des suivis de capture, retrace Jean-Pierre Faure, directeur technique de la fédération rhodanienne et incollable sur le sujet. Nous avons vu une chute vertigineuse des gros spécimens ». Il se prenait un brochet de plus de 75 cm toutes les 25 heures en 2011. Cinq ans plus tard, c’était une capture toutes les 100 heures. Pour enrayer cette course en arrière, Jean-Pierre Faure et la fédération ont l’idée de mettre en place une fenêtre de capture. Mais cela a pris du temps car il a fallu démontrer l’impact des pêcheurs, rassembler les études faites à l’étranger dans près de 20 pays sur les 15-20 dernières années, parlementer avec la direction départementale des Territoires et les autres instances. Et avant l’arrêté publié en 2019 et étendu aux lacs de Miribel-Jonage plus au nord, il fallait préparer les pêcheurs.
De la communication
En 2018, une grande campagne de communication est mise en place dans le département à l’aide de flyers, conférences, vidéos : « Nous devions casser les idées reçues, explique le directeur technique. Avant, un gros poisson était perçu comme un mauvais géniteur, un individu stérile, qui mange les petits… » C’est en fait tout le contraire, comme l’a montré la thèse de Nicolas Guillerault intitulée Effets des mesures de gestion halieutique sur la conservation d’une espèce vulnérable : le brochet. On y apprend qu’une femelle de 100 cm pond environ 250 000 œufs, six fois plus qu’une femelle de 60 cm. Il a aussi été nécessaire de délimiter la fenêtre de capture. Alors que beaucoup de fédérations (lire notre encadré) partent sur du 60-80 cm, plus facile à mettre en place réglementairement, le Rhône a choisi le 50-70 cm. Sur la première fenêtre, le poisson est prélevable pendant trois à quatre saisons. Sur la deuxième, seulement une à deux saisons !
Nombreux avantages
Aujourd’hui, 88% des pêcheurs interrogés sont favorables, voire très favorables, à la mesure (contre 73% en 2020). Ils ont vu leur qualité de pêche s’améliorer. Arthur Terrien, qui gère le groupe Facebook « Les Pêcheurs du Grand Large », a déménagé sur Lyon pour la pêche il y a cinq ans. Il n’a pas été déçu. L’an dernier, cet adepte des big baits a pris plus de 400 brochets, avec une moyenne de 75 cm… « Attention, il faut connaître les bonnes périodes, les bons spots et coloris et il faut passer du temps pour comprendre le lac, avertit Arthur dont le record est à 110 cm. Mais la densité est incroyable. Je n’ai jamais vu ça ailleurs en France. Et la fenêtre de capture y est pour beaucoup même si, de toute façon, 90 % des pêcheurs pratiquent le no-kill. Et il faut souligner que la garderie est très présente. » Face à ce constat, les AAPPMA ont voté à la quasi-unanimité l’extension de la fenêtre à tout le département depuis le 1er janvier 2023. Les bénéfices sont nombreux. « On a très vite vu rebondir le nombre de gros sujets, abonde le directeur technique de la fédération. Mais aussi le nombre de poissons pris, avec un niveau de reproduction plus élevé. On a franchi régulièrement la barre des 120 cm. La taille moyenne des prises augmente depuis 2016- 2017. » Aujourd’hui, il se prend chaque année 1 500 brochets de plus de 75 cm sur le Grand-Large.
Cohabitations
Et ça marche aussi sur de petits plans d’eau, Jean-Pierre Faure prenant en exemple un poisson de 114 cm capturé sur un petit lac test de 3,6 hectares où une énorme pression de pêche est exercée. Il est aussi important de souligner que cette fenêtre de capture satisfait tous les pêcheurs : les aficionados du no-kill, ceux qui veulent prélever, les pêcheurs aux vifs… tout le monde cohabite. En revanche, rançon du succès, les pêcheurs sont plus nombreux : « J’ai déjà vu, à l’ouverture, 150 pêcheurs sur le même spot », affirme Arthur Terrien. La fédération avait quantifié il y a quelques années la pression de pêche à 180 heures par hectare et par an. Elle est de 250 heures aujourd’hui.
D’autres exemples en France
- Rhône, Aisne : 50-70 cm
- Lot, Eure-et-Loir, Yonne, Haute-Vienne, Haute-Marne, Saône-et-Loire : 60-80 cm
- Allier, Charente, Gard, Ain, Loire… : seuls certains secteurs sont concernés sur du 60-80 cm
Une mesure nationale ?
D’où cette question : à quand une réglementation nationale ? « Des collègues d’une quarantaine de départements nous ont demandé des infos, précise Jean- Pierre Faure, parce qu’on a vraiment eu l’avantage d’acquérir de la donnée, d’avoir une vraie base de comparaison avant-après. » La fenêtre de capture semble correspondre aux attentes des pêcheurs d’aujourd’hui et la FNPF suit l’évolution. Le 1er décembre 2022, la fédération du Rhône a été invitée à présenter son bilan lors des journées techniques de la Fédération nationale à Paris. « Il faut un cadre national, clair, net et précis, soutient le directeur technique qui avance un dernier argument. Les animalistes n’ont pas d’angle d’attaque sur la fenêtre de capture. Quand il y a un no-kill, ils veulent interdire la pêche sous prétexte qu’il faut laisser tranquille le poisson qui ne sera pas consommé. Là on fait une gestion du prélèvement. On peut ainsi dégonfler tous leurs arguments. » À bon entendeur !
Sandres et truites aussi
La fédération de pêche du Rhône pilote aussi une expérience de la fenêtre de capture sur le sandre et sur la truite. Pour le sandre, la fenêtre est de 40-60 cm et est obligatoire sur une partie de la rivière Saône et ses plans d’eau connectés, le lac du Ronzey et le barrage de Joux. Instaurée depuis 2021, il est trop tôt pour en tirer un premier bilan. Pour la truite, la fenêtre est de 20 à 25 cm sur de nombreux cours d’eau, notamment la Brévenne dès 2019. Les premiers résultats sont aussi bons que sur le brochet, à vérifier avec la sécheresse de 2022. À noter que sur le silure, il y a dans le lac des Eaux-Bleues de Miribel-Jonage, le lac du Colombier à Anse et sur une partie du Rhône, une maille inversée pour le silure : ceux dépassant 170 cm seront remis à l’eau pour conserver l’équilibre des populations.