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Le dorado, el tigre del rio

Mythique prédateur d’Amérique du Sud, le dorado fait fantasmer bien des pêcheurs. C’est au cours de plusieurs expéditions en Argentine que j’ai pu me mesurer à ce poisson de sport à la défense fabuleuse et en tirer une petite expérience.

Direction le petit village d’Itati, dans la province de Corrientes. La poussière de la piste interminable qui longe le fleuve Paranà, ce géant aux multiples bras et ramifications, laisse entrevoir les jacarandas en fleurs. Les notes du tango de la veille à Buenos Aires sont déjà loin. Beto, une figure locale de la pêche du mythique dorado, sera mon guide. Il m’accueille chez lui comme on reçoit un ami, avec simplicité et générosité. C’est aussi cela la magie de cette partie septentrionale de l’Argentine : le goût amer du maté allié aux saveurs épicées du locro, la puissance d’un fleuve aux eaux troubles et limoneuses (16 000 m3/ seconde à Corrientes) qui contraste avec l’aridité des paysages au format XL. Le Paranà marque ici la frontière nord avec le Paraguay. Au-delà des superlatifs qui viennent à l’esprit, c’est le second plus long fleuve d’Amérique du Sud (après l’Amazone) qui s’écoule sur près de 5000 km, du Brésil jusqu’à son embouchure de la Plata, aux portes de la capitale qui se dresse face à l’Atlantique.

Le Carolina Skiff est bien adapté à la navigation dans une ambiance parfois dangereuse
Crédit photo : David Gauduchon

Une pêche explosive

Mais venons-en au fait. Le Carolina Skiff de Beto nous attend sur sa remorque tractée par un 4x4 antédiluvien. Le Paranà, Beto est quasiment né dessus (il fut à deux doigts de voir le jour dans la barque qui transportait sa maman au dispensaire). Jeune, Il a vécu sur une large plateforme bricolée de type catamaran, équipée d’une passerelle de commandement haute de 10 m pour mieux anticiper les obstacles flottants et les hauts-fonds. Ce fleuve, inutile de préciser qu’il le connaît comme sa poche. Une mise à l’eau sportive – le matériel souffre ici – et le 70 chevaux Yamaha démarre « presque » du premier coup. Il vaut mieux, car le courant n’autorise pas la moindre erreur de pilotage.

Les mises à l’eau sont parfois sommaires mais ont le mérite d’exister
Crédit photo : David Gauduchon

Nous quittons le lit principal, véritable artère de vie comme l’attestent les nombreux bateaux. Selon Beto, le cours du fleuve, large de 200 à 300 m, s’enfonce dans les basaltes en une véritable tranchée profonde de 40 m en moyenne pouvant dépasser les 100 mètres. Nous nous engouffrons progressivement à vive allure dans un dédale de bras, véritable labyrinthe, sans GPS ni sondeur. Après 30 minutes de navigation, nous évoluons dans une nature magnifique ponctuée d’îles verdoyantes qui abritent une faune et une flore d’une grande richesse. Un vol de perroquets aux couleurs flamboyantes nous salue. Pécari, tatou, tapir, fourmilier, loutre géante, anaconda et bien d’autres espèces nous observent, à l’image de ces caïmans que notre présence dérange à peine. Les berges creuses sont jonchées de bois morts qui créent des accélérations de courants, des retournes puissantes. Je me sens petit sur cette coque de noix qui défie les éléments. Mais la connaissance de Beto et ses larges épaules finissent par me convaincre de m’en remettre à lui. D’ailleurs, ai-je bien le choix ?

La pêche en pleine eau peut être longue et fastidieuse, mais elle réserve parfois de belles surprises.
Crédit photo : David Gauduchon

Mieux vaut me protéger du soleil qui tape fort, la chaleur est étouffante dès que notre bateau réduit sa vitesse. Mon guide coupe bientôt son moteur pour le laisser dériver à 30 m au large d’une zone prometteuse : une bordure léchée par un courant vif d’où émergent de grosses roches qui créent de fortes zones de turbulences. Le dorado est un prédateur taillé pour les courants. Je ne vais pas tarder à m’en rendre compte. Mon K-Ten orange n’a pas fait 10 mètres qu’il est intercepté violemment. Ma canne casting en MH me semble sous-dimensionnée. Ma tresse 2,5 PE file malgré mon action sur le frein. Les coups de tête enregistrés sont d’une puissance que je n’avais ressentie jusqu’alors qu’en pêchant le peacock bass au Brésil. Le dorado sait se jouer de sa masse et du courant pour vous faire la misère. Un peu trop de pression latérale, et c’est un magnifique spécimen doré qui explose en surface. Décroché ! Penaud, je regarde mes triples dont les branches de l’un sont retournées. Message reçu ! J’ai bien fait de prendre un stock d’hameçons pour l’exotique et d’anneaux brisés renforcés dont je vais armer mes leurres le temps d’une pause déjeuner à l’ombre. La structure osseuse de la gueule du dorado nécessite par ailleurs des pointes ultra-piquantes et des ferrages appuyés pour espérer prolonger le combat.

Un prédateur à la mâchoire pour le moins agressive
Crédit photo : David Gauduchon

Une mâchoire d’acier

On apprend très vite de ses erreurs dans ce type de pêche caractérisée par une prospection intensive. Même des spécimens de taille moyenne (3 à 6 kg), qui vivent souvent en bande d’une dizaine d’individus, ne souffrent pas l’approximation. Sur certaines zones, si les touches sont nombreuses, le ratio ferrage réussi n’en demeure pas moins faible au début. Un peu comme au tarpon, on s’accommode d’un poisson pris pour trois ferrés tant les plaques pharyngiennes osseuses et l’ensemble de la gueule sont durs comme de la pierre. Il faut observer attentivement la tête massive d’un dorado, dont la bouche atteint la moitié de la tête, pour mieux comprendre la difficulté rencontrée au ferrage : le maxillaire inférieur possède une double rangée de dents coniques très serrées qui nous rappelle que ce prédateur appartient à la famille des characidés (comme le piranha); il est attaché au crâne par des muscles masticateurs extrêmement puissants capables d’écraser ou même d’ouvrir les hameçons triples les plus forts.

Pour les leurres, prévoyez des hameçons et des anneaux brisés solides et renforcés.
Crédit photo : David Gauduchon

Salminus brasiliensis ou maxillosus de son nom d’espèce (il existe pas moins de cinq espèces recensées), maxillosus faisant référence à la formidable puissance de ses mâchoires, est par ailleurs taillé comme un athlète. Son corps est parfaitement adapté aux courants forts qui constituent son habitat. Sa robe dorée, à la beauté unique (golden dorado en anglais), n’est en fait qu’une parure qui recouvre un corps fusiforme fait d’une armure de muscles toniques et puissants. Quant au nom de genre Salminus, qui fait référence à Salmo, elle est source de comparaisons erronées jusqu’à sa dénomination fantaisiste de « saumon de l’Amazone » (le dorado est absent du bassin de l’Amazone). La présence d’une adipeuse, la disposition de ses nageoires, son aisance pour évoluer dans les courants et sa migration pour la reproduction ne seraient que des similitudes avec Salmo salar.

Côté combat, le dorado ne s’en laisse pas conter
Crédit photo : David Gauduchon

Leurre ou mouche ?

Un ensemble casting (une canne de 1,95 à 2,10 m en bateau et un moulinet doté d’un frein puissant et de solides roulements) s’avère parfait pour cette pêche de prospection sur les bordures et autour des obstacles qui nécessite la répétition de nombreux lancers précis. Le leurre dur (jerkait, popper, crankbait, lipless selon la typologie des postes) doit d’être posé au ras des berges, près de la végétation (qui ressemblent à des nénuphars) ou à proximité des bois morts. Entre 15 et 20 cm, il doit être choisi non seulement pour sa capacité à émettre de fortes vibrations dans ces eaux turbides et tumultueuses mais aussi pour sa capacité à se mettre en action très rapidement, dès le premier tour de manivelle, du fait de la vitesse de la dérive plus ou moins rapide. C’est là un gage de succès. À ce petit jeu, le pêcheur à la mouche pourra même avoir un avantage sur ce type de postes, car un streamer s’avère pêchant dès qu’il touche l’eau. À ce titre, il est bien souvent intercepté par un dorado à cet instant précis.

En dépit d’une eau teintée, ce carnassier réagit bien au passage des streamers.
Crédit photo : David Gauduchon

Pour avoir souvent pêché en binôme, mon compagnon au leurre se trouvait souvent pris de vitesse à la récupération, là où à la première traction sur la soie, j’enregistrai une attaque foudroyante. Autre constat, l’hameçon simple renforcé (entre 2/0 et 6/0 ultra-piquant, type Owner ou Gamakatsu) assure une meilleure pénétration qu’un triple, limitant ainsi les risques de décrochage sous les coups de tête violents et les sauts souvent spectaculaires. De là à changer les triples pour des simples légèrement surdimensionnés, il n’y a qu’un pas, facile à franchir pour le pêcheur au leurre…

Leurre ou mouche, peu importe, mais il faut prévoir costaud.
Crédit photo : David Gauduchon

À vue sur les hauts-fonds

Pêcher l’eau, au gré des postes, peut rapporter gros même si, du fait des températures ambiantes, cela peut s’avérer éreintant au bout de plusieurs heures. Une autre approche consiste à localiser des chasses. Beto, mon guide, connaît chaque plage de sable où se rassemble le poisson fourrage : des sabalos, principalement, et des bogas. Lorsque les concentrations sont suffisamment fortes, les prédateurs ne sont pas loin. Il est alors fascinant de voir un escadron de dorados monter sur un haut-fond, encercler leurs proies puis les acculer. La surface de l’eau se met à bouillonner, les sabalos giclent de partout espérant échapper aux attaques bruyantes des dorados en furie. De telles curées sont bien entendues propices aux pêches de surface : popper, stickbait ou wobbler se montrent efficaces, tout comme un spinnerbait à l’armature renforcée dès que la pression retombe. C’est à coup sûr le type d’action de pêche la plus excitante, celle qui génère le plus d’adrénaline. J’ai le souvenir d’un spécimen, attaqué à vue, au slider, en plein milieu d’une chasse. Le combat fut rude, long, acrobatique, d’une intensité incroyable. Croyez-moi, capturer un dorado de plus de 10 kg dans de telles conditions est un souvenir qui n’est pas près de s’effacer.

David est catégorique. Le dorado est un poisson de sport inoubliable
Crédit photo : David Gauduchon

Infos pratiques

Saison. La saison la plus propice pour la pêche du dorado s’étale de décembre à mai, les mois les plus chauds dans l’été austral étant décembre et janvier.

Localisation. Le dorado, qui est un poisson de l’ordre des characiformes, fréquente de nombreux bassins en Amérique latine. Il fréquente les eaux tropicales et subtropicales dans les bassins des fleuves río Paraná, río Paraguay, Uruguay, ainsi que dans les rivières du bassin de l’Amazone en Bolivie.

Reproduction. Le Salminus brasiliensis ou maxillosus peut atteindre quatorze ans d’âge. Les plus gros spécimens capturés à la canne dépassent les 20 kg, un record de 31,4 kg pour 1 mètre de long est mentionné. La reproduction du dorado est connue sous la forme d’une migration appelée piracema. Elle a lieu pendant les mois de printemps austral (octobre et novembre). Plusieurs mâles courtisent et suivent la même femelle. Lors de ce rituel d’approche, les individus sautent hors de l’eau, il est alors facile de les repérer et de les observer. La fécondation est externe, la femelle pondant jusqu’à 200000 œufs en une seule fois. Après une incubation d’un jour, les alevins éclosent. Ils mesurent alors 5 mm de longueur. La maturité sexuelle est atteinte la seconde année chez les mâles et la troisième chez les femelles.

Protection. Le dorado est menacé par la sur-pêche des locaux, qui doivent bien se nourrir. D’autre part, la construction de barrages empêche la migration annuelle, et donc la reproduction. C’est pourquoi il est protégé en Argentine, par une loi de 2005 qui le considère comme poisson d’intérêt national, et réservé à la pêche sportive, source de devises pour le pays.

 

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