Physiologiquement, le brochet est armé pour être une véritable terreur des eaux douces. Ses 700 dents (ce n’est pas un mythe) se partagent les rôles. Celles qui sont implantées sur les mâchoires « agrippent » et « tuent ». Celles qui garnissent la voûte et le plancher de la bouche (les fameuses « râpes ») empêchent tout retour en arrière. Avec sa forme allongée et sa capacité à former un « S » avec son corps qui fait office de ressort, le brochet possède une des plus grosses accélérations du règne animal. Associé à son art du camouflage, cet attirail en fait un incroyable chasseur à l’affût.
Perception des proies
Mais au-delà de cela, comment le brochet perçoit-il sa proie (et donc notre leurre) ? Il n’est pas question ici de vous faire un cours de biologie appliquée – j’en serais bien incapable d’ailleurs – mais plutôt de comprendre la façon dont fonctionne notre prédateur. Comme beaucoup d’êtres vivants, les brochets possèdent des sens qui se répartissent en grandes catégories. La vue, les sens vibratoires et auditif ainsi que les sens olfactif et gustatif. La vue est un sens essentiel chez Esox lucius. Les yeux sont placés latéralement sur la tête avec une orientation vers l’avant lui permettant de repérer ses proies. Latéralement, la vue est moins précise et sert surtout de zone de surveillance. C’est l’inverse chez les non-prédateurs qui ont une vue latérale plus développée afin de surveiller leurs arrières. Pour vulgariser, on peut sans doute dire que le brochet a une vue assez nette à faible distance mais qu’il voit assez loin. Autrement dit, il est myope… Ce phénomène est particulièrement conditionné par la turbidité de l’eau. La vision des couleurs est un fait établi, mais avec l’absence de lumière elles disparaissent les unes après les autres. D’abord les couleurs chaudes, puis les couleurs froides. Ainsi, pêcher dans 15 mètres d’eau avec un leurre rouge reviendra à pêcher avec un leurre sans signal visuel…
Une affaire de contraste
Les brochets sont donc capables de distinguer des couleurs, mais également et surtout les contrastes. Ainsi, il est avéré que dans des eaux claires, le brochet est tout à fait capable de sélectionner une couleur ou un contraste plutôt qu’un autre, comme un coloris perche au lieu d’un coloris gardon… Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’odorat est plus développé que la vue chez le brochet, mettant à mal la théorie d’un poisson chassant principalement à vue. Il possède des narines dont les orifices sont placés sur le museau à proximité de l’œil. Ainsi, il peut sentir les parfums présents dans l’eau, qui est un excellent conducteur de substances odorantes. De là à penser que les attractants ne sont pas si inutiles que cela chez le brochet, il n’y a qu’un pas. J’ai souvent vu la différence sur des poissons suiveurs avec des leurres « attractés ». Les poissons en général sont également dotés du sens du goût grâce à des récepteurs placés sur les lèvres ou sous la mâchoire (voire les barbillons pour certains poissons). Ils goûtent « à distance », car ils baignent dans un liquide (l’eau) qui diffuse les substances sapides. Là encore, les attractants ont un rôle à jouer en permettant une tenue en bouche plus longue. De plus, il est important de noter que les proies en état de stress peuvent émettre par le biais des urines des informations chimiques (phéromones) capables de mettre en alerte les congénères. Il en résultera une baisse de l’activité alimentaire et conséquemment des déplacements, ainsi qu’un éventuel resserrement du banc… C’est par l’odorat que sont captées ses informations chimiques, perceptibles elles aussi par le brochet…
Sens vibratoires et auditif
Les poissons sont également dotés du sens du « toucher » qui leur permet de tester la dureté d’un leurre. Ce système tactile qui se trouve dans la bouche côtoie de près le système gustatif. On voit souvent des brochets suivre un leurre et lui donner de petits coups de gueule. Pour tester son goût ou sa dureté ? Est-ce le goût ou la texture qui déclenchent un refus ? Difficile à dire. Ce qui est sûr, c’est que la suprématie du leurre souple sur le leurre dur n’est pas une évidence… loin de là. Je pense que le problème doit être pris dans sa globalité. Entendez par là que d’autres sens entrent en jeu et peuvent activer la séquence d’attaque… À mon avis, nous rentrons maintenant dans la partie qui intéresse le plus la pêche aux leurres : les sens vibratoires et auditif. Le système auditif est décomposé en deux parties : l’oreille interne qui capte les sons à longue distance et la ligne latérale (complétée par les pores céphaliques répartis sous la mâchoire et sur la tête) qui fournit des informations à plus courte distance. Ces deux mécanismes sont liés mais indépendants. Au-delà de la portée, c’est surtout une question de fréquence qui distingue les deux appareils. La ligne latérale capte les basses fréquences, celles qui sont liées à un déplacement dans l’eau par exemple. Tout mouvement d’un corps dans l’eau crée une perturbation hydrodynamique. Ainsi, les déplacements d’un poisson ou d’un leurre à proximité du prédateur (disons moins de 2 mètres) sont captés et retransmis au système nerveux central en 3D. Cela veut dire que le brochet sait où la proie se situe par rapport à lui et qu’il est capable de la localiser très précisément dans l’espace. La ligne latérale sert également au poisson à évaluer le débit d’eau dans lequel il se trouve. Elle lui donne donc des informations fondamentales sur son environnement direct. L’oreille interne complète ces données en lui transmettant des informations venant de plus loin ou davantage liées aux hautes fréquences (celles de billes par exemple). Il faut bien comprendre que ces sens sont fondamentaux, car ils permettent au poisson de chasser en l’absence de lumière, dans une eau très turbide… ou tout simplement très encombrée par des herbiers (tiens, tiens).
Séquence d’attaque
Pour mieux comprendre, disons que le déplacement d’un leurre dans l’eau est perçu de loin par l’oreille interne qui « entend » également les éventuelles billes du leurre. Puis, la ligne latérale donne de nouvelles informations sur son positionnement dans l’espace. Couplée à la vue, elle va permettre au prédateur de cibler la proie et de l’attaquer. Il ne faut pas perdre de vue que tous les sens jouent un rôle et qu’ils sont complémentaires. Selon les conditions d’eau : profondeur, turbidité, courant, perturbation de surface (vent et vagues par exemple ou hélice de bateau passant à proximité), présence de poissons fourrage en plus ou moins grande quantité, chaque sens joue un rôle plus ou moins prépondérant. Ils prennent le relais les uns des autres ou se complètent pour donner les informations au système nerveux. Lorsqu’il est question de prédation, ces informations déclencheront la séquence d’attaque ou non.
Leçons instructives
Le brochet peut vous entendre de loin. Il peut donc se déplacer de plusieurs mètres (je dirai jusqu’à 15 pour l’avoir déjà vu !) pour se saisir de votre leurre. Un brochet ne rate jamais sa proie. Quand il la veut vraiment, c’est toujours au fond de la gueule. Les odeurs et la texture ont sûrement un rôle plus important à jouer que celui qu’on leur attribue d’habitude. Il faut sans doute regarder du côté des attractants pour cette partie. Les petites billes qui provoquent des sons aigus (très hautes fréquences) sont quasiment inaudibles pour les brochets. Si la vue est importante par eau très claire, l’absence de lumière ou la forte turbidité (grande profondeur, fleuve en crue, pêche de nuit par exemple) ne l’empêchent absolument pas de chasser ! À vous d’en tirer vos propres enseignements et de les intégrer dans votre tactique.