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Chasses du Rhône : ça s'améliore doucement

Le barrage de Chancy-Pougny est le premier à voir passer l’énorme flux de sédiments en provenance de Verbois. 

Crédit photo Camille Moirenc - CNR
On se souvient des catastrophiques chasses du Rhône de juin 2012 que nous avions relatées. Renommées depuis Apaver (Abaissement PArtiel de la retenue du barrage de VERbois), elles se sont mieux déroulées en 2021, grâce à une assez étroite coopération entre Suisses et Français, même si un incident recensé le 6e jour aurait sans doute pu tout faire basculer.

Le barrage suisse de Verbois est le plus en amont sur le Rhône, après sa sortie du lac Léman. À quelques kilomètres de Genève, la retenue accumule chaque année des centaines de milliers de mètres cubes de sédiments provenant de l’Arve, principal affluent du Haut-Rhône, à très forte turbidité. Dans certains quartiers de Genève, notamment celui de la Jonction où résident 60 000 personnes, les risques d’inondation sont donc très forts en cas de crue. De vastes opérations de gestion sédimentaire sont nécessaires et doivent être réalisées à intervalles réguliers (3 ou 4 ans). Les précédentes avaient eu lieu en 2016.

Une impressionnante vue du Rhône, frontière naturelle ici entre Ain et Haute-Savoie, en aval de Bellegarde-sur-Valserine.
Crédit photo : Camille Moirenc - CNR

Les erreurs du passé

Suite aux conséquences environnementales inacceptables de 2012, reconnues par tous, en particulier sur la faune piscicole, la méthodologie a été fortement revue. Une coopération beaucoup plus poussée entre l’opérateur suisse, le SIG (Service industriel de Genève) et la CNR (Compagnie nationale du Rhône) a été mise en place. Des seuils de turbidité maximums, alignés sur les standards français, nettement plus exigeants, ont donc été retenus. Pour avoir un ordre d’idée, il faut savoir qu’une crue de l’Arve peut naturellement apporter 4 à 6g/l de sédiments pendant plusieurs jours. Les seuils français ont été définis par les scientifiques en 1983 suite aux chasses catastrophiques de 1978. Pendant toute la durée des opérations, le seuil ne doit donc pas dépasser 5g/l en moyenne avec pas plus de 10g/l pendant 10h consécutives et 15g/l maximum pendant 30min. C’est sur cette base, accompagnée d’ajustements et de nouveaux outils de mesure, que l’opération a pu être mise en œuvre du 18 au 30 mai 2021.

Pêche de sauvetage effectuée sur une toute petite gouille d’un bras déconnecté du Vieux-Rhône de Chautagne. 
Crédit photo : Thierry Bruand

Grosse surveillance

Côté français, toute la problématique consiste alors à gérer le mieux possible le flux de MES (matières en suspension) qui va transiter sans dépasser les seuils retenus. L’opérateur utilise un peu comme des «bassines» les six retenues qui s’enchaînent entre Génissiat à l’amont et Sault-Brénaz, près de 100km plus bas. Il pilote le flux sédimentaire avec les vannes de fond (où l’eau est la plus chargée), de demi-fond ou de surface, pour diluer plus ou moins les sédiments. Ces opérations impliquent aussi de faire varier les niveaux des lacs Léman, d’Annecy et du Bourget, connectés au Rhône par des affluents, tout en suivant de près les prévisions météo. Le flux de MES transite prioritairement par les parties canalisées, où les enjeux environnementaux sont un peu moins importants, de manière à préserver au mieux les trois Vieux-Rhône de Chautagne, Belley et Brégnier-Cordon.

À Génissiat, contrôle des concentrations en sédiments sur les prélèvements d’eau.
Crédit photo : Camille Moirenc - CNR

Sauver les poissons

Toutefois ces derniers vont logiquement voir leur niveau baisser et certaines lônes ou bras se déconnecter, d’où la nécessité de pratiquer certaines pêches de sauvetage. Bref, un sacré casse-tête pour Laurent Tonini, le directeur opérationnel, qui m’a confirmé n’avoir pas beaucoup dormi dans les jours qui ont précédé.

Appareils de mesure des concentrations de sédiments, pilotés ici depuis le pont de Pyrimont de Surjoux. 
Crédit photo : Camille Moirenc - CNR

Alerte le 23

En fait, tout s’est bien passé… jusqu’au 23 mai. Un nuage de sédiments anormal a alors été observé, suite à une manœuvre de vannes côté suisse, pour réduire le débit au moment de la crue de plusieurs affluents. La limite maximale des 15g/l est alors dépassée à Pougny (barrage franco-suisse en aval de Verbois) pendant 43min au lieu des 30 autorisées. La CNR a dû effectuer des manœuvres de dilution sur la chaîne d’aménagement qui va de Génissiat à Belley pour atténuer ce pic. Heureusement, les jours qui suivront vont être plus calmes.

Le barrage de Verbois, tout proche de Genève, doit être débarrassé de ses sédiments à intervalles réguliers. 
Crédit photo : Camille Moirenc - CNR

À la prochaine...

En définitive, selon le communiqué officiel, le taux de MES s’est établi en moyenne à 3,8g/l à Seyssel (station de référence française) et 1,2 million de tonnes ont été évacuées de Verbois sur les 1,7 prévues. Rendez-vous est pris pour 2024 ou 2025 en espérant de nouveaux progrès et, bien sûr, un suivi piscicole encore plus poussé.

Ce beau chevesne va retrouver les eaux du Vieux-Rhône de Chautagne, celui où les enjeux sont les plus forts car c’est le plus en amont et il ne bénéficie pas de gros affluents capables de l’alimenter
Crédit photo : William Brasier - CNR

Lavis de Pascal Jaquemier, président de l’AAPPMA de Saint-Genix-sur-Guiers

Je suis un observateur attentif depuis les années 1980. Je ne conteste pas les moyens mis en œuvre par la CNR mais des améliorations sont encore possibles. Jusqu’en 2003 par exemple, le Vieux-Rhône de Brégnier-Cordon, dont j’ai la charge, et qui fait partie de la réserve naturelle nationale du Haut-Rhône français, était protégé au même titre que celui de Yenne. Je pense qu’il serait bon de le déconnecter à nouveau lors des prochaines opérations. Les eaux claires et abondantes du Guiers, des contre-canaux du Rhône, du Truison ou de la Bièvre le permettent. J’aimerais aussi qu’une étude sérieuse compare la population piscicole de ces deux Vieux-Rhône car, a priori, celui de Yenne s’en sort nettement mieux sur le long terme. Cette année, le frai du brochet avait beaucoup de retard et l’arrivée massive de ces sédiments ne peut pas être sans conséquence. Même si je sais que cela coûte très cher, pourquoi ne pas mettre aussi la pression sur les Suisses pour qu’ils fassent davantage d’opérations de pompage-dilution dans leur retenue ? D’année en année, j’observe inexorablement une raréfaction des populations piscicoles sur mon secteur et cela m’attriste

L'avis de Fabrice Piatek, Responsable développement de la fédération de Savoie

J’ai passé quatre jours sur place cette année, en tant que membre du comité décisisionnel environ emental des Apaver. Celui-ci comprend des techniciens du pôle environnemental de la CNR, des membres du CNRS et des représentants des fédérations de l’Ain et de la Savoie. Nous étions chargés du suivi des trois Vieux-Rhône où les enjeux environnementaux sont les plus forts. Le but de notre comité était de renseigner l’exploitant sur les aspects écologiques et de l’aider à prendre ses décisions. Nous avons aussi effectué des pêches de sauvetage sur les tronçons déconnectés où les niveaux avaient dû être fortement abaissés. Il y a des améliorations incontestables depuis 2012, notamment au niveau de l’harmonisation réglementaire entre la France et la Suisse. La CNR a mobilisé beaucoup de moyens humains et financiers. Nous nous sommes aussi appuyés sur les bénévoles des AAPPMA qui participent aux surveillances, apportent leurs connaissances de terrain et parfois même historiques. Le suivi environnemental se poursuit ensuite pour connaître les impacts a posteriori des Apaver, entre deux opérations. Toutefois, il faut garder à l’esprit que l’on est sur un transit sédimentaire artificiel. Ces matériaux transiteraient de toute façon lors des crues, c’est vrai. Mais là, on compacte l’équivalent de plusieurs années sur douze jours, ce qui n’est pas anodin, surtout en période de frai de certains cyprinidés. C’est sur le tronçon situé entre Verbois et le barrage de Génissiat, où les MES transitent directement, que les impacts sont les plus forts, même si nous n’avons pas constaté de mortalité cette année, contrairement à 2012. D’autre part, il y avait localement peu de poissons dans les pêches de sauvetage. Mais je me garderai bien d’extrapoler car elles peuvent très bien refléter la capacité des poissons à ne pas se faire piéger lors des déconnexions. Bien que l’hydroélectricité soit une énergie renouvelable, son mode de production modifie fortement les cours d’eau et implique des opérations d’entretien très délicates. Cette énergie a donc bien un coût environnemental.

 

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Biologie – Environnement

Magazine n°915 - août 2021

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