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Hommage à Marc Sourdot : un article sur la truite de mer dans le n°450

Selon le temps passé en rivière, la robe des truites de mer varie du plus clair au plus foncé (note : difficile de s'en apercevoir sur la photo, ce qui est certain c'est qu'en 2023, une photo comme celle-ci nous attirerait les foudres de beaucoup de lecteurs).

Crédit photo Marc Sourdot
Notre collaborateur Marc Sourdot est décédé à l'âge de 77 ans, le 30 octobre dernier. Pour rendre hommage à l'homme, au journaliste qu'il était, nous publions quelques-uns de ses anciens articles. Ici, un article sur la truite de mer, publié en deux parties dans les n°450 et 451 des mois de novembre et décembre 1982. A l'époque, seules quelques pages du magazine étaient en couleur... et les photos étaient de piètre qualité. Marc aimait particulièrement la pêche du saumon et des poissons migrateurs, il y avait peu d'écrits sur la truite de mer... aujourd'hui encore d'ailleurs ! Il s'agit donc ici d'une archive rare, un vrai document qui est encore d'actualité, même si le matériel a beaucoup évolué.

La truite de mer : partie 1, généralités et pêche en estuaire

Comme son cousin le saumon, la truite de mer se reproduit en rivière et grossit dans l'océan, véritable cadeau-bonus de la mer au continent. Sa présence dans de nombreuses rivières côtières de Bretagne et d'ailleurs, sa « personnalité » complexe et attachante, sa taille enfin, en font un poisson de plus en plus recherché, à la pêche difficile, déroutante souvent mais toujours passionnante.

On s'accorde généralement à penser que Salmo Trutta Fario, Salmo Trutta Lacustris et Salmo Trutta Trutta, notre truite de mer, ne représentent que trois variantes morphologiques d'une même espèce, qui se différencient toutefois nettement par les mœurs, l'aspect et l'habitat, points essentiels pour nous pêcheurs. Si sa croissance s'effectue en milieu marin après une « enfance » variable en eau douce, la truite de mer ne semble pas coutumière de grandes migrations à l'instar de son cousin Salmo Salar elle s'éloigne rarement de l'estuaire principal ou du fjord vers lequel elle a pu dévaler. Par ailleurs son comporte ment ne semble pas obéir à un déterminisme aussi rigide, aussi absolu que celui qui régit le cycle vital du saumon. Mais, comme pour ce dernier, la connaissance précise de ce cycle de vie pose encore problème, même si les recherches et les travaux des hommes de science, les observations des hommes de terrain réduisent peu à peu la part d'incertitude. Elle est nettement blanche, la «white trout » des Britanniques, quand elle arrive à la rivière pour commencer se remontée. Cette livrée claire, moins bleutée, moins brillante cependant qui celle du saumon, est ponctuée grosses taches noires plus nombreuses que chez ce dernier. Durant les deux premiers jours de la remontée elle est encore couverte de poux de mer, animalcules parasites, témoins indubitables d'un très récent passage en eau douce. Et l'on dit que, si la truite de mer et le saumon effectuent des sauts si fréquents et si peu discrets en estuaire, c'est pour se débarrasser de ces hôtes gênants. C'est une jolie explication, il y en a sans doute d'autres. Après quelque temps d'eau douce, période très variable selon la saison et les rivières, la truite de mer perd de sa brillance pour prendre des couleurs plus « classiques ». Elle devient plus « truite » que « de mer », aux dires (traduits !) d'un ami norvégien. Elle s'assombrit, se cuivre, ses taches noires perdent alors en netteté et il est parfois difficile de faire la différence avec une fario non migratrice. La rareté ou l'absence de points rouges, l'absence de nuance jaune ou dorée, peuvent être souvent un bon indice morphologique de reconnaissance. Chez le mâle, le nez se creuse à la façon des saumons dont la truite de mer se différencie toujours, plus ou moins facilement pour un pêcheur néophyte, par une queue moins échancrée, une gueule plus largement fendue, une tête plus allongée. Selon les régions et les rivières, les remontées ont lieu plus ou moins tardivement dans la saison : dès le mois de mai, voire avril pour certaines rivières bretonnes ; à partir de juillet et surtout en août et septembre dans les eaux norvégiennes. Mais on la trouve en estuaire, en zone de marée, durant une grande partie de la saison et sa pêche y est des plus captivantes.

L'estuaire de la Vormo, vu du fjord à marée basse, laisse deviner les rochers qui encombrent son lit.
Crédit photo : Marc Sourdot

La truite de mer en estuaire 

Dans cette zone ambiguë où l'eau hésite entre le sel et le doux, où la marée apporte et emporte à chaque demi-journée son lot d'espoir et d'incertitudes, la pêche prend une dimension tout autre. Quelle que soit la technique adoptée, ce qui compte d'abord c'est le temps, le choix du moment. On ne pêche pas n'importe quand en estuaire : c'est la marée qui régit tout. La meilleure période semble être la dernière heure de la marée montante ; pour être plus sûr : les deux dernières heures du flux et la première heure du reflux. Si, de plus, ce moment coïncide avec le crépuscule, on peut être assuré de passer un bon moment dans un décor de rêve. Que ce soit dans la lande de la rivière d'Etel ou dans le cadre plus imposant du Josenfjord, c'est la même impression de mystère sauvage qui vous envahit, devant la lente progression de la mer, la lente montée des eaux et du poisson. C'est une pêche d'atmosphère avant tout, de contemplation plus que d'action, une pêche rare qu'il faut savoir goûter à la mesure des éléments qui interviennent. A mesure que l'eau monte, le poisson se signale par des sauts de plus en plus fréquents, de plus en plus sonores. Les truites arrivent par vagues et se rassemblent à postes fixes mais transitoires. De jour, dans l'eau très claire de l'estuaire, on peut suivre leur progression jusqu'à la limite de la rivière. Certaines passeront en eau douce, après de longues hésitations, la plupart, du moins en début de saison, se retireront avec la mer jusqu'à la prochaine marée. Si d'autres pêches peuvent se révéler également productives, c'est à la mouche, décor oblige, que je préfère pratiquer pour tirer profit au mieux du spectacle, de l'atmosphère et de la combativité de ces poissons. On commence à pêcher à la limite du fjord, parfois même dans le fjord pour remonter peu à peu avec les truites jusqu'à l'eau douce.

L'estuaire de la rivière de Botne, petit cours d'eau norvégien riche en truites de mer.
Crédit photo : Marc Sourdot

Agressive mais prudente

La grande canne de 10 pieds permet de longs lancers et une récupération régulière de la mouche, parfois happée au passage par... un maquereau à la défense têtue et zigzagante. Car le fjord est le lieu des surprises toujours possibles : tel ce saumon pris par un touriste ébahi qui lançait sa cuiller en attendant le ferry boat ! Mais les touches y sont rares le plus souvent ; c'est plutôt à la traine, en milieu de journée, dans une prospection entêtée et méthodique qu'on a le plus de chance de toucher y saumons et truites de mer en fjord. Des sauts de plus en plus désordonnés nous renseignent sur la progression des truites : la pêche devient plus appliquée, plus précise à mesure qu'on remonte vers la rivière. Avec un peu d'attention (et de bonnes lunettes polarisantes !) on devine les rassemblements de poissons. II faut lancer, noyer la mouche, d'abord à peine puis plus profondément selon les réactions du poisson et ramener plus au moins vite mais très régulièrement. Une truite se dégage du groupe et suit le leurre, accélère, s'en approche, va la saisir. Mais au dernier moment elle a changé d'idée; il faut recommencer, dix fois, vingt fois avec d'autres poissons. Car c'est une constante dans le comportement de la truite de mer : "elle ne sonne qu'une fois". Que ce soit en estuaire ou en rivière, au lancer ou à la mouche, si elle ne prend pas ou si on la manque à la première attaque, elle ne reviendra pas, restera impassible au passage du mieux manié des leurres. De nuit, durant le long crépuscule des soirées de fin juin, dans le silence parfois troué par le fuseau brillant d'un poisson hors de l'eau, cette pêche devient une longue et presque irréelle excitation. Tout s'estompe, tout hésite, sans jamais basculer, entre le jour et la nuit, le crépuscule ne finira qu'à l'aube, la pêche qu'avec le reflux, moments privilégiés qu'on voudrait retenir. Mais la pêche ? On allait l'oublier ! Elle se rapproche de la noyée classique, dans la mesure où l'on lance presqu'aval en laissant dériver un moment avant de ramener la mouche en évitant au maximum les à-coups. Il n'est plus question de suivre le leurre des yeux, de fignoler la présentation, de choisir son poisson. On ne pêche plus à vue, mais à la sensation, à l'intuition souvent. Une imperceptible tirée, un bref arrêt nous indiquent qu'une truite est venue, sans prendre, buter du nez contre notre mouche, comportement fréquent de ce poisson agressif mais prudent. Si l'on a dit et écrit de l'ombre que c'était un animal peu farouche mais fantasque, prudent toujours sur le choix de la proie, de la truite fario qu'elle était farouche mais peu méfiante sur la mouche, on peut dire de la truite de mer qu'elle est à la fois peureuse et prudente, farouche et fantasque, ce qui ne constitue pas le moindre attrait de sa recherche pour le pêcheur exigeant, souvent dérouté par le côté imprévisible de ce comportement. Pendant une demi-heure : pas une touche à se mettre sous la canne, puis trois poissons en cinq minutes et plus rien pendant trois quarts d’heure. C'est, exposé brièvement, le rythme de cette pêche ponctuée par les sautes d'humeur de la truite de mer. Il semble bien que cette alternance corresponde aux mouvements du poisson, actif quand il passe d'un poste à l'autre, bouche cousue quand il est calé immobile à son poste.

Dans l'estuaire de la Vormo, au milieu des rochers que la marée va recouvrir.
Crédit photo : Marc Sourdot

La pêche de nuit

La touche se manifeste franchement, par une seche tirée suivie presque toujours d'un saut spectaculaire qui en annonce d'autres si le poisson est de taille. II faut savoir rendre la main, donner du fil, laisser le poisson se fatiguer sur le poids de la soie, sans pour autant donner du mou à l'ensemble. Malgré toutes ces précautions, les décrochés sont nombreux qui vous font regretter l'emploi de si petits hameçons pour de si beaux poissons ! Car en estuaire on pêche relativement fin : 22/100 et hameçons de 10 ou 12, malgré les rochers, pièges refuges pour le poisson, que recouvre peu à peu la marée. Une bonne connaissance diurne de l'endroit aide beaucoup pour la pêche de nuit, pour le lancer comme pour la lutte, sans pour autant vous éviter toujours le bain forcé après une glissade sur un rocher à peine immergé , alors qu'au bout là-bas, pour la troisième fois, le poisson saute et repart faisant chanter le moulinet et plier la dix pieds. Il ne se rendra qu'au cinquième départ, après avoir longtemps hésité entre le fjord et la rivière, déroulant à chaque fois une quantité impressionnante de backing. Dans la quasi-obscurité tout semble plus difficile, les réflexes se cherchent, les sensations se font trompeuses, un poisson de quatre livres devient monstre indomptable ! II faut dire aussi que ces truites d'estuaire, pas encore fatiguées par une dure remontée, sont en pleine forme et savent se battre jusqu'à épuisement, donnant à qui sait les faire mordre un des plus beaux sports qu'on puisse se procurer avec une canne à mouche. Mais il faut les faire mordre ! Car, si elles se pressent, nombreuses, à chaque marée, à partir de fin juin a l'embouchure de la Vormo, rares sont celles qui sont vraiment mordeuses et quatre ou cinq poissons constituent un tableau honorable. Après bien des tâtonnements, essais et discussions avec les habitués de l'endroit (ils sont rares !), j'en suis arrivé à penser, provisoirement peut-être, qu'une mouche de couleur sombre à corps tinsel argent et jungle coq en tête (ce dernier détail relevant plus de la manie, héritée du saumon !) monté sur hameçon de 10 au bout d'un 22/100, constituait un bon compromis entre la nécessaire discrétion d'un leurre capable de tromper la méfiance instinctive de la truite de mer et un minimum de solidité compte tenu des obstacles et de la vaillance de l'adversaire. Des modèles classiques comme la «Mar Lodge», la « Jungle cock silver » ou la « Silver zulu » correspondent bien aux besoins de cette pêche et sont utilisés avec succès. Le pêcheur norvégien, plus pragmatique, moins compliqué, utilise le plus souvent un buldo en bois, peint en vert : le traditionnel « dobber », agrémenté d'une mouche montée en pointe. Si la prospection, de nuit surtout, s'en trouve facilitée, les résultats sont loin d'être aussi bons qu'à la mouche classique, le travail du leurre étant laissé totalement au bon vouloir de l'eau, au gré des flots, le poisson se ferrant seul, souvent de façon incertaine.

La truite de mer : partie 2, la pêche en rivière

Au bout de quelque temps en eau douce, quelques jours de remontée, notre poisson devient plus « truite » que « de mer », abandonne ses habitudes océaniques et retrouve en partie les mœurs de ses sœurs. L'influence des marées perd de son importance au profit des variations de niveau de la rivière qui vont déterminer le choix des modes et des moments de pêche.

En rivière, on utilise des mouches plus fortes qu'en estuaire.
Crédit photo : Marc Sourdot

Si la mouche reste la pratique généralement la plus employée et, sans doute, la plus rentable, il faut savoir s'adapter aux circonstances qui imposent souvent d'autres techniques. C'est à travers cette diversité de tactiques et de pratiques qu'on pourra le mieux juger et apprécier le caractère fantasque, timide, parfois violent, de cette combattante.

Le lancer

Par eaux hautes ou normales c'est, avec un matériel adapté, une pêche qui se rapproche de celle du saumon : lancer 3/4 aval, prise de contact immédiate avec le leurre, travail de la cuiller simplement maintenue à contre-courant, guidée parfois au passage des obstacles, récupération régulière et très lente avant de relancer. Les deux moments critiques de cette pêche, où se produisent la plupart des attaques, se situent lors de la plongée du leurre et au moment de sa sortie de l'eau. C'est pourquoi il faut reprendre contact avec la cuiller dès que celle-ci a touché la surface; ne pas attendre, même, ce moment pour enclencher le pick-up. II va sans dire que, dans une rivière tourmentée et agitée, aux courants irréguliers même par eaux basses, l'emploi d'un moulinet à ramassage au doigt ne peut être le fait que de pêcheurs rompus de longue date à cette pratique. Sans quoi l'on s'expose à manquer la plupart des attaques ou, même, à ne pas les percevoir du tout. Contrairement à sa sœur Fario qui apprécie souvent la nage saccadée et hésitante d'un leurre bien manié, la truite de mer semble plus positivement sensible à l'allure régulière, au trajet rectiligne d'une cuiller lentement récupérée. Ce qui ne veut pas dire qu'elle suit le leurre à distance, à la même vitesse, avant d'attaquer : pas toujours. Parfois elle surgit à mi-course, sortie d'on ne sait où et « tape » rageusement. Une autre fois elle saluera d'un simple coup de nez, au risque de se faire « crocheter » par la joue ou le menton. Mais, le plus souvent, et il faut y être très attentif, l'attaque se produit juste avant le retrait du leurre, dans cette fraction de seconde entre l'eau et l'air libre, parfois à l'air dans une sortie, gueule ouverte, impressionnante mais, neuf fois sur dix, sans suite. Les derniers centimètres de la course du leurre sont donc tout aussi importants que les premiers. II faut savoir y apporter toute l'attention nécessaire, ne pas déjà songer au prochain lancer mais choisir un endroit propice où la cuiller viendra s'échouer discrètement si elle n'est pas interceptée par le poisson. Comme la truite de mer n'attaque qu'une fois, il vaut mieux éviter de lui faire le coup-de-la-queue-du-Mickey, en retirant trop vivement le leurre : par eaux basses, le seule moyen de se tenir hors de la vue de ce poisson farouche est de pêcher en descendant. Ce qui signifie qu'on devra être encore plus rapide sur le pick-up ou sur le galet du ramassage au doigt ; sinon gare aux ratés et aux cuillers perdues ! Il faudra, de plus, savoir se cacher en tirant parti du moindre rocher, du moindre tronc d'arbre, du moindre obstacle qui pourra faire écran entre le pêcheur et le poisson. L'eau claire et basse, si elle permet de bien suivre la course du leurre, de profiter de toutes les péripéties de l'action, laisse également à la truite tout le loisir d'observer l'adversaire qui n'est plus dissimulé par les turbulences de l'eau. En rivière basse et limpide, une cuiller claire, n°3 ou 2, donne de bons résultats ; l'essentiel est qu'elle se mette en rotation dès son entrée à l'eau. En rivière haute, un leurre un peu plus gros, n°3 ou 4, sera préférable. Dans tous les cas une vérification constante de la pointe des hameçons, vite émoussée au contact des pierres, s'avère nécessaire.

Par eaux basses, on pêche en amont en essayant de se faire le plus petit possible.
Crédit photo : Marc Sourdot

Le ver

Quand le niveau monte brusquement, annonce d'une crue toute proche, lorsque l'eau se teinte après quelques heures ou quelques jours de pluie, il ne faut pas hésiter à sortir la grande canne et la réserve de vers. Si l'on peut pratiquer cette pêche en tous temps et par tous niveaux - certains virtuoses du « roulé » peuvent en témoigner - c'est pourtant au plus fort du coup d'eau, à la fin de la montée, avant que l'eau ne recommence à s'éclaircir, quand les autres pêches sont totalement inopérantes, que le ver procure les plus belles émotions, donne les meilleurs résultats. Une longue canne, nerveuse et légère, permettra d'explorer tous les recoins propices, toutes les tenues possibles : aplomb de la rive, abri d'un rocher, calme entre deux courants, là où la turbulence des flots s'émousse un peu, dispersant aux poissons en quête de nourriture la manne arrachée à la terre. J'utilise, le plus souvent, une canne en fibre de carbone, de fabrication artisanale, de 4 m 95, qui me sert habituellement à pêcher le saumon à la mouche. A condition de bien replacer le moulinet « à sa main », nettement plus haut qu'à l'endroit prévu pour le moulinet à mouche, c'est un ensemble qui donne entière satisfaction, alliant souplesse, nervosité et légèreté. Un hameçon n°1 ou 2/0, à hampe ardillonnée, permet une bonne fixation et une bonne tenue du lombric. Un plomb spirale de 10 à 20 grammes selon les endroits prospectés complète l'équipement. Les avantages de ce plomb qu'utilisent couramment les pêcheurs scandinaves, et que ceux d'entre nous qui pêchent en mer connaissent bien, sont nombreux : on peut le régler à hauteur voulue et le fixer par simple torsion dans un sens ou dans l'autre; on peut en changer sans démonter la ligne ; enfin, lorsqu'il s'accroche entre deux pierres à fond, il se décroche souvent, en s'étirant, pour peu qu'on soit monté sur 30 ou 35 centièmes. Car, au ver, dans ces eaux troubles et tumultueuses, il ne faut pas hésiter à pêcher fort, à cause des obstacles que savent si bien utiliser ces poissons rusés dont la force est multipliée par la puissance du courant. Parfois la touche est nette, franche et rappelle celle de nos truites farios au sortir de l'hiver, à la saison des fringales : la truite de mer engame brusquement et se ferre facilement. Mais le plus souvent elle se montre d'une parfaite discrétion, « téléphone » à peine sa présence, de façon plus timide et, surtout, moins nerveuse, que les tacons attirés par le ver. Pour peu que le plomb soit trop lourd ou placé trop près de l'hameçon (ce réglage est donc primordial), elle évente le piège avant qu'on puisse réagir. Un bon « touché » du fil pincé dans la main gauche, une canne sensible, un ferrage immédiat et prononcé sont donc indispensables si l'on veut profiter pleinement de ce bref instant de folie qui saisit nos poissons juste avant la fin de la montée des eaux. Car lorsque celle-ci commence à s'éclaircir, à se stabiliser ou à descendre, c'en est fini du bal. Le saumon prend le relais, mais c'est une autre histoire ! Généralement elles se regroupent par bandes dans les endroits moins exposés à la furie des eaux et ce comportement grégaire explique peut-être la compétition à laquelle elles semblent se livrer pour s’emparer du ver; il n'est pas rare alors de prendre 4 ou 5 beaux poissons.

Par eaux fortes et cassées, le ver reste une pêche très rentable mais difficile dans ces flots agités.
Crédit photo : Marc Sourdot

La mouche

Il arrive parfois qu'en péchant le saumon à la mouche, on fasse monter et mordre une truite de mer, une grosse le plus souvent. C'est ainsi que mon ami Sorskar prend, bon an mal an, sur la Vorma, une trentaine de truites de mer qui dépassent les 3 livres. Comme il ne pêche qu'avec des mouches de taille 4/0, ou plus fortes, on comprendra que, seules, les truites de belle taille puissent être intéressées. Jusqu'à la grande sécheresse de cet été, j'avais, moi aussi, tendance à pêcher « gros », à utiliser le même matériel que pour le saumon, considérant la truite de mer, en rivière, comme un simple complément à la pêche de celui-ci. Les eaux anormalement basses et limpides, la méfiance des truites, l'apathie totale des saumons pendant un long mois, m'ont amené à réviser mas positions et à rechercher une méthode plus spécifique. Comme pour le lancer, les eaux basses et claires imposent une relative finesse du matériel et une grande discrétion en action de pêche. Une mouche, du n°6 au 2/0, au bout d'un 28/100, donc un peu plus forte qu'en estuaire, permet de faire face à toutes les situations, ou presque. Car, si la truite de mer n'a pas attaqué au troisième lancer, vous pouvez changer de pool, ou revenir plus tard. Les 3/4 des touches, en fait, ont lieu au premier lancer. C'est pourquoi celui-ci demande une bonne préparation, une bonne concentration : bien choisir le point d'impact de la mouche, imaginer sa dérive et son trajet, avant de commencer à pêcher. Comme le leurre travaille sous quelques centimètres d'eau, il est facile, lorsque l'on pêche aval, de bien suivre la trajectoire du leurre, de contrôler son allure, de voir l'attaque du poisson et d'y répondre par un ferrage ample et prononcé. Au poser, la truite attaque de façon franche et une bonne tension de la ligne contrôlée par la main gauche suffit, le plus souvent, à assurer le ferrage. En fin de trajet, c'est une autre histoire ! La canne est déjà à moitié relevée, la main gauche parfois hors-position, lorsque la truite se décide enfin à mordre, au moment où la mouche va quitter l'eau. Elle prend alors souvent du bout des lèvres, sans viol’encre, et reste sur place, comme figée l'espace d'une seconde. Si l'on ne s'est pas laissé surprendre par la manœuvre du poisson, il faut essayer de ferrer, vite et fort, si l'on peut, en levant le bras au maximum pour balancer la canne en arrière et faire quand même jouer son nerf. La pêche amont, nécessaire par eau très basse pour échapper à la vue du poisson, se rapproche, par bien des aspects, de la nymphe de pleine eau. La plupart des attaques se produisent au posé, lorsque la mouche s'enfonce et amorce sa dérive. Surtout si le courant est fort, ou irrégulier, (ce peut être le cas même par eau basse !), il est primordial de contrôler le leurre dès le début si l'on veut éviter la déconvenue des ratés successifs. On utilise en rivière les mêmes modèles qu'en estuaire, en plus forte taille. Pour la pêche amont, il est préférable de lester au fil de cuivre ou de fusible, pour faciliter la pénétration de ces mouches plutôt fournies qui, sans cela, dériveraient trop en surface, de façon très délicate à contrôler. Que ce soit en estuaire ou en rivière, la classique mouche sèche ne m'a jamais donné de très bons résultats. Cela tient sans doute plus aux rivières que j'ai fréquentées, qu'aux habitudes proprement dites de la truite de mer. Et c'est un fait que pour les poissons anadromes comme la truite de mer et le saumon, ces habitudes peuvent varier grandement d'une rivière à l'autre. Sur telle rivière de la côte normande les truites de mer « montent » très bien à la mouche et mordent à la crevette ; sur telle rivière bretonne, la grosse limace est une esche de tout premier ordre ! Ces variations de comportement liées au milieu ajoutent encore à la difficulté de cette pêche et à son attrait. Ne nous en plaignons pas !

La pêche aval par niveau normal permet de bien contrôler visuellement toutes les péripéties de la pêche.
Crédit photo : Marc Sourdot

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